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Pour accélérer la résolution de la crise du logement, nous devons changer notre façon de construire des logements. Ce point de vue défendu par l’AQMAT dans son Plan stratégique 2025-2027 (voir page 23 ici) semble entièrement partagé par Mathieu Laberge, économiste en chef et Premier vice-président, Connaissance du marché à la Société canadienne d’hypothèques et logement (SCHL) qui soulève une question importante : combien de temps faudrait-il pour achever tous les logements nécessaires et les rendre accessibles aux ménages à revenu faible ou moyen?
Des recherches récentes de la SCHL montrent qu’il pourrait falloir jusqu’à 30 ans pour y arriver, un délai bien sûr beaucoup trop long pour les personnes qui ont besoin d’un logement abordable en ce moment.
Plus précisément, le processus lié à la construction de logements collectifs peut prendre jusqu’à sept ans.
La construction résidentielle est un processus qui commence par la conception et l’aménagement d’un immeuble. Cette phase peut prendre de 3 à 5 ans, selon le type d’immeuble résidentiel. Elle nécessite de réaliser les plans, les documents et les études nécessaires pour passer aux étapes de l’examen, de la délivrance des permis et de l’approbation.
L’Enquête sur l’utilisation des terres et la réglementation municipale connexe montre que le processus d’examen et d’approbation par les municipalités canadiennes prend en moyenne une année complète pour les logements collectifs. Ce délai peut s’avérer beaucoup plus long dans les grands centres urbains, où la demande est la plus forte. Les villes de Vancouver et de Toronto enregistrent les délais d’approbation les plus longs, suivies de Montréal.
Une fois ces étapes franchies, la construction peut commencer. M. Laberge précise :
« Un de nos récents Rapports sur l’offre de logements (PDF) (voir le tableau 3) porte sur le temps qu’il faut pour construire des logements partout au pays. Dans le cas des logements collectifs, on a constaté que la période de construction s’étend sur 1 à 2 ans, de la mise en chantier à l’achèvement. Au Canada, il faut donc en moyenne de 7 à 8 ans pour construire un immeuble de logements collectifs, comme des appartements destinés à la location. »
L’économiste en chef de la SCHL, Mathieu Laberge, dévoile que le processus de filtrage améliore l’abordabilité du logement, mais il peut s’écouler jusqu’à 20 ans pour que l’effet de la hausse de l’offre de logements du marché se fasse pleinement sentir, autrement dit pour qu’elle fasse baisser les prix.
Environ 95 % des habitations au Canada sont des logements dont le prix de vente ou de location sont régulés par le marché.
C’est lorsqu’un logement est achevé que le filtrage commence, un processus grâce auquel les logements du marché deviennent, avec le temps, de plus en plus accessibles aux ménages à revenu faible ou moyen.
Le logement social et abordable est utile, mais ne réglera pas tous les problèmes
L’ajout de logements sociaux aurait certainement des avantages, mais permettrait-il de régler la crise? Essayons de répondre à la question.
Dans l’Union européenne, la proportion de logements sociaux par rapport au parc immobilier total est d’environ 8 %. Selon les données du recensement et les calculs de la SCHL, les logements sociaux représentent environ 3,5 % du parc résidentiel au Canada.
Nous disposons donc d’une bonne marge d’amélioration.
Il faudrait 575 000 logements sociaux supplémentaires pour atteindre la moyenne de l’OCDE, selon M. la SCHL. C’est le double du nombre de logements sociaux qui existent actuellement au pays.
Pour atteindre la moyenne de l’Union européenne, il faudrait créer environ 750 000 logements sociaux. L’ajout d’un si grand nombre de logements abordables aiderait certainement la population canadienne. Mais ce serait nettement insuffisant pour résoudre la crise actuelle selon toutes les estimations de l’offre de logements requise.
M. Laberge soutient qu’il « faut du temps et une offre équilibrée de logements neufs dans toutes les gammes de prix ».
Il n’y a pas de solution miracle à la crise. Il faut du temps pour que les prix des logements du marché baissent, et le logement social n’est pas une panacée, peu importe ce qu’on en dit. Pour progresser vers la normalisation du secteur de l’habitation, nous avons besoin d’une offre équilibrée de logements neufs dans toutes les gammes de prix.
Ensuite, nous devons aussi être réalistes quant aux délais.
La dernière Enquête sur la construction de logements locatifs montre que les promoteurs de logements locatifs planifient généralement leurs investissements sur 10 ans.
Lorsque nous analysons ou planifions l’offre de logements, nous devons adopter le même horizon temporel pour évaluer les résultats : 10 ans. Toutefois, certains changements peuvent aider à accroître et à accélérer l’offre d’options de logements qui sont à la portée des ménages canadiens.
La SCHL croit que nous devrions agir sur trois fronts.
- Attirer de nouvelles sources de capitaux patients (comme les caisses de retraite et les grands organismes sans but lucratif) pour financer la construction résidentielle. De telles sources pourraient aider à compléter les investissements substantiels que les gouvernements ont réalisés au cours des 10 dernières années. Cette solution n’accélérera pas forcément la construction, mais elle garantira la production d’un nombre suffisant de logements au fil du temps pour répondre aux besoins de la population canadienne.
- Continuer de simplifier la réglementation pour permettre aux promoteurs et aux autres parties prenantes du secteur de l’habitation d’accélérer la construction. L’approbation et l’aménagement de logements sont de loin les phases les plus longues du processus de construction résidentielle. Il n’est pas facile de raccourcir le processus de filtrage. Cependant, l’expérience montre que si les municipalités réduisent les formalités administratives et simplifient le processus d’approbation, elles peuvent nettement accélérer le rythme de la construction résidentielle.
- Agir concrètement pour accroître la productivité de la construction résidentielle. C’est possible en adoptant des techniques et des technologies de construction qui ont fait leurs preuves dans d’autres pays, mais qui sont peu utilisées au Canada. Il s’agit notamment des logements modulaires, des tours d’habitation à ossature de bois et même des logements collectifs imprimés en 3D.
Ces techniques et technologies comprennent aussi l’utilisation accrue de la robotique, de l’intelligence artificielle et de la modélisation des données des bâtiments pour :
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- automatiser certains processus de construction hors site;
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- optimiser la conception des espaces, accélérer la conformité à la réglementation, améliorer la planification des ensembles résidentiels et accroître la précision de la construction.
Enfin, ces changements nécessiteront d’adapter les compétences des travailleurs de la construction résidentielle. Il faudra donc former de nouvelles personnes aux métiers et reconvertir professionnellement celles qui sont actuellement sur le marché du travail. Il faudra du temps pour y parvenir, mais cette mise à niveau des compétences contribuera à résoudre la crise du logement actuelle et aidera tout le monde au Canada.