Piétonniser et commercer : un bon ménage qui a ses exigences

Le blog de Richard Darveau, président de l’AQMAT, porte ce mois-ci sur le phénomène de la piétonnisation qui se déferle dans tous les centres-villes du Québec.

« Le mouvement de piétonnisation prend de l’ampleur. Après des projets pilotes en saison estivale ou durant les fins de semaine, certaines rues deviennent désormais interdites à la circulation de manière permanente, comme c’est le cas à Montréal depuis le milieu des années 80, avec la rue de La Gauchetière dans le quartier chinois ou encore l’avenue Prince-Arthur entre le boulevard Saint-Laurent et le square Saint-Louis.

C’est la COVID-19 — encore elle ! — qui a relancé l’engouement pour les rues piétonnes. Le phénomène dépasse maintenant Montréal ou le Vieux-Québec, touchant d’autres régions, comme la rue Laval à Gatineau ou la rue Wellington Nord à Sherbrooke.

Les sociétés de développement commercial et les administrations municipales veillent à consulter les citoyens et les commerçants après chaque expérience de piétonnisation. J’ai parcouru une douzaine de résultats de sondages, et les conclusions convergent toutes.

D’un côté, les visiteurs apprécient l’atmosphère conviviale, la décoration, le sentiment de sécurité, le rythme plus lent, le calme ou encore les événements.

D’un autre côté, les commerces de détail, bien qu’ils constatent une augmentation du passage de piétons, de personnes à vélo ou en planche à roulettes, réalisent souvent de moins bonnes affaires. Seuls les cafés, restaurants, et autres établissements de divertissement semblent en tirer bénéfice, car leurs clients n’ont pas à repartir avec de gros sacs ou des boîtes encombrantes.

Et tout cela est bien normal. Moi-même, si je dois acheter une souffleuse ou un sac de ciment ¾, je m’assurerais que la quincaillerie n’est pas située sur une rue piétonne. Il en va de même pour mes courses d’épicerie ou de meubles, par exemple.

Je lisais la réaction d’un commerçant : « Que les piétons soient plus nombreux sur une artère commerciale ne m’émeut pas. Qu’est-ce que cela me rapporte s’il y a 1000 piétons en gougounes qui passent devant mon commerce sans acheter quoi que ce soit ? »

Ce qui me dérange, c’est que les sondeurs omettent toujours de poser la question cruciale : «S’il y a de moins en moins de commerces, continueriez-vous à avoir envie de flâner sur cette artère ? »

N’importe quel promeneur préférera un parc, un bord de lac ou une montagne plutôt qu’une rue commerciale… sans commerces.

Quand on déambule sur une artère dite commerciale, c’est entre autres pour profiter des ventes trottoir, pour magasiner, pour acheter. Par conséquent, tous les efforts de conversion vers la piétonnisation doivent prioriser l’activité commerciale, la sublimer, et non la contraindre en créant des obstacles.

Une piétonnisation réussie créera un environnement urbain de qualité, agréable, loin du stress causé par la circulation automobile, permettant ainsi de lier l’acte d’achat à celui d’une promenade urbaine.

Même nos collègues du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD) tombent dans le piège en posant régulièrement les mêmes questions, récoltant les mêmes réponses : les Québécois sont favorables à la piétonnisation des rues commerciales, et beaucoup affirment qu’ils les fréquenteraient davantage si elles étaient piétonnes.

Cependant, les faits montrent que les commerces de détail désertent ces rues. Il faut donc avoir l’honnêteté de demander aux gens s’ils continueront à les fréquenter si l’attrait commercial diminue.

La complémentarité des enseignes et la diversité de l’offre commerciale participent bien sûr à l’attractivité d’une zone piétonne. C’est un cercle vertueux qui vise à créer un environnement agréable pour les visiteurs, mais il devient problématique si l’offre se réduit à des marchands de crème glacée.

Si le maintien des commerces sur une rue que l’on souhaite piétonniser doit être au cœur des changements proposés, c’est souvent l’inverse qui se produit : on ferme la rue, puis on tente de réparer les torts causés aux commerces en improvisant des mesures dites de mitigation.

Or, si l’accès à un commerce est difficile ou que les clients ne peuvent en sortir les mains pleines, l’expérience client sera forcément moins bonne, l’achalandage diminuera, les affaires s’en ressentiront, et des fermetures suivront.

Le danger réside dans les piétonnisations extrêmes, c’est-à-dire permanentes. Une rue fermée 24 heures sur 24 pose un grave problème d’approvisionnement pour les commerces et complique l’accès des employés.

La réussite d’une piétonnisation repose sur un plan d’ensemble fluide, une signalisation claire, des solutions alternatives de transport et de stationnement. Une application mobile indiquant les stationnements à proximité serait bien accueillie. L’augmentation du transport en commun et la mise en place de navettes entre les stationnements et les rues piétonnes doivent être envisagées. Des campagnes encourageant la découverte et la fréquentation des commerces locaux doivent également être menées.

La société évolue, tout comme l’urgence climatique. Nos commerçants doivent s’adapter et faire entendre leur voix. Le commerce ne se fait pas de la même manière lorsque la rue est piétonne.

Une artère commerciale piétonne bien conçue permettrait même à une quincaillerie de contribuer à l’esprit communautaire, en créant un espace dynamique où les commerçants s’entraident et organisent des activités ensemble. Cela nourrirait ce sentiment d’appartenance auquel tout le monde aspire. En somme, nos commerces deviendraient une partie intégrante du domaine public plutôt que de simples lieux privés de transactions.»

Richard Darveau
Président
514.984.2183

One comment on “Piétonniser et commercer : un bon ménage qui a ses exigences

  1. Dominique Belanger, Quincaillerie C. Bélanger Ltée, Montréal on

    Bonjour RIchard,

    Ton article résume très bien les enjeux actuels et futurs.

    L’un des enjeux est la vison politique municipale qui peut être très réduite à la vision du partie et non à l’avenir d’une avenue commerciale qui a, par exemple, plus de 80 ans d’existence. Le jeu politique a une grande importance dans l’avenir des rues commerciales. Certains élus municipaux peuvent aller jusqu’à avancer des sommes considérables provenant des citoyens pour arriver à leur fin sans vraiment écouter les enjeux des commerçants locaux.
    Un autre enjeu est le jeu du *copier-coller*. Pourquoi devrions nous piétoniser une artère si la seule raison est que plusieurs autres le font? Chaque artère est unique et répond à un besoin spécifique de leur quartier. Certaines ont des métros et des stationnements, d’autres ont un enjeu de clientèle primaire très locale sans vraiment accès à certains services.

    Piétonniser une artère la transforme du tout au tout. Ce n’est pas un enjeu que l’on peut prendre à la légère en se disant *on essaie et si cela ne fonctionne pas pas bien on reviendra en arrière*. Les dommages collatéraux seront irréparables changeant l’image de l’artère pas nécessairement pour le mieux.

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