
On a déjà joué dans ce film : « Ouvrons de plus en plus d’heures pour concurrencer Amazon ». Et on pensait que la fin avait été heureuse, puisque le gouvernement du Québec n’avait plus reparlé de cette idée après le dépôt d’un immense projet de loi omnibus. Puis voilà qu’en décembre, par la voix du ministre responsable de l’allègement réglementaire, Christopher Skeete, il récidive. Comme toute suite de film, celle-ci risque d’être moins bonne. Mais pour s’en assurer, l’AQMAT ne sera pas spectatrice : elle compte bien agir, promet son porte-parole, Richard Darveau.
« Ouvrir mieux, pas ouvrir plus »
L’AQMAT s’inscrit en faux contre cette approche et entend continuer de démontrer que la véritable riposte à Amazon et consorts consiste à « ouvrir mieux, pas ouvrir plus ». M. Darveau explique :
« Les plateformes virtuelles ont gagné la bataille des heures : elles sont accessibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Mais elles ne peuvent gagner le match de l’expertise terrain. Et en matière de quincaillerie, un conseil judicieux fait toute la différence. »
Or, qui dit conseils, dit personnel en nombre suffisant et surtout bien formé et motivé. On ne peut jouer sur deux tableaux : ouvrir tous les soirs de semaine et de fin de semaine tout en espérant répondre aux attentes des consommateurs à ces heures-là — en termes de ratio employés/clients, d’enthousiasme et de connaissances — c’est utopique.
Quant au supposé avantage logistique du commerce en ligne, il est exagéré, selon le président de l’AQMAT :
« À première vue, une livraison Prime le lendemain, c’est imbattable. En réalité, se rendre à la quincaillerie prend 15 à 20 minutes… et on repart avec la bonne marchandise ! »
Tous les marchands partagent la position défendue par l’AQMAT depuis des années, malgré les vents contraires soufflant d’autres associations commerciales, davantage à l’écoute de quelques poids lourds de leur membership, comme Walmart, Costco ou Sobeys.
À lire sur le sujet :
- Dans La Presse+ : Magasiner le samedi soir bientôt possible?
- Sur Radio-Canada (1er avril) : Des détaillants préoccupés par le projet de loi 85
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Rappelons que le projet de loi 85 vise à assouplir les restrictions concernant les heures d’ouverture des commerces au Québec. Parmi les mesures proposées : le lancement de projets pilotes pour évaluer les effets de l’élargissement des plages horaires sur la compétitivité du commerce de détail.
L’AQMAT promet à ses membres de veiller au grain pour éviter que les quincailleries et centres de rénovation ne fassent l’objet de telles expérimentations.
Il existe toutefois une exception au positionnement de l’AQMAT : le 1er juillet, jour de déménagement pour environ 30 % des Québécois. Ce moment privilégié justifie l’ouverture des quincailleries.
« C’est tellement vrai que plusieurs quincailleries ouvrent illégalement ce jour-là, car la pénalité est moins coûteuse que les ventes gagnées au détriment des concurrents respectant la loi. Un amendement réglementaire pourrait régulariser cette situation. »
Par ailleurs, la loi actuelle prévoit déjà plusieurs exceptions : les commerces situés en zones touristiques ou ouverts lors d’événements spécifiques ne sont pas soumis à l’horaire régulier (7 jours/semaine dès 8 h et en soirée en semaine).
De plus, les quincailleries et centres de rénovation peuvent déjà desservir à toute heure les professionnels, car il s’agit d’une relation entre entreprises, et non avec le grand public.
Le ministre Skeete souhaite que les entreprises décident elles-mêmes de leurs heures d’ouverture, dans une entente entre commerçants et consommateurs.
Réaction de M. Darveau :
« D’accord avec le principe. À la nuance que, nous, ce qu’on demande, c’est que les concurrents d’une même région puissent se concerter pour convenir d’horaires à l’intérieur du cadre actuellement permis, soit 83 heures par semaine, lequel est amplement suffisant. »
Attaquons-nous à la concurrence déloyale des magasins non physiques
« On recommande depuis longtemps aux deux paliers de gouvernement de plutôt encadrer les magasins non physiques qui concurrencent les nôtres de manière inéquitable, en utilisant les infrastructures publiques, notamment les routes et les ponts pour leurs livraisons, sans contribuer à leur financement », ajoute M. Darveau.
Pour appuyer les propos du président de l’AQMAT, rappelons :
- que certaines plateformes étrangères échappent encore partiellement à la TPS/TVQ, malgré des ajustements récents;
- Amazon et autres géants numériques déclarent leurs revenus dans des paradis fiscaux, réduisant ainsi leurs obligations fiscales par rapport aux commerçants locaux;
- elles disposent aussi d’outils inaccessibles aux commerces physiques : données clients, intelligence artificielle, traçage comportemental…
Bref, les magasins physiques subissent une pression énorme qui les obligent à gruger dans leur marge bénéficiaire, même parfois vendre à perte pour faire tourner l’inventaire. Dans ce contexte, réduire de quelques heures l’horaire, de concert avec les concurrents, aiderait à garder les meilleurs employés, à leur offrir de bonnes conditions de travail et conséquemment, espérer fidéliser la clientèle avec un service de qualité.
Tous ces enjeux ont déjà été expliqués, en long et en large. Et pourtant, le ministre Skeete persiste à croire qu’ouvrir les samedis soir serait une panacée. Comme le disait l’entraîneur Claude Ruel en 1969 quand un journaliste lui demandait si les Canadiens allaient gagner la coupe Stanley : « Y’en n’aura pas d’facile !»
Note aux jeunes lecteurs : Et pourtant, cette année-là, le Canadien l’a emporté en finale en blanchissant les Rangers en quatre matchs d’affilée !