Haro médiatique et politique sur le compactage de matériaux neufs par les centres de rénovation

«En quincaillerie, on est loin du concept de l’économie circulaire», d’admettre aux médias le président de l’AQMAT, Richard Darveau, dans une série d’entrevues données aux médias hier. «Mais malgré le feu aux poudres médiatique et politique, il s’agit d’un geste isolé, contraire aux politiques corporatives en place, et la bannière fait d’ailleurs enquête.»

Rappelons les faits. Du journalisme d’enquête alimenté par sept employés et ex employés d’une des succursales de Home Depot au Québec tend à montrer que les centres de rénovation ne participent pas, du moins pas suffisamment, au mouvement général en faveur de la réduction des déchets et de la mise au compactage d’articles de quincaillerie et de matériaux de construction neufs.

Les centres de rénovation ne disposent pas tous d’un compacteur raccordé à une benne à ordures dans leur cour, mais sans doute que toutes les quincailleries font hélas face, à l’occasion, à l’obligation de jeter des articles de quincaillerie et des matériaux de construction.

Les titres frappent fort. Cliquez dessus pour accéder aux contenus des reportages et entrevues.

Enquête: la chaîne Home Depot au Québec jette chaque année des tonnes de produits neufs aux ordures 

Home Depot jette des tonnes de produits neufs aux ordures

Gaspillage chez Home Depot: «Dommage, mais plus ou moins étonnant»

Articles neufs jetés: les écologistes saluent le courage des dénonciateurs

Le reflet de notre propre hypocrisie

Home Depot: «Inacceptable», réagit le ministre Charette

On va d’abord s’entendre sur une chose, d’affirmer Richard Darveau à l’animateur Alec Castonguay à l’émission quotidienne d’affaires publiques à Radio-Canada: «Le premier perdant dans cette affaire, c’est Home Depot. Je m’explique. L’entreprise a zéro intérêt sur les plan financier et réputationnel à ce que des matériaux utiles soient jetés et compactés. Quand elle en arrive là, et cela est vrai pour tout centre de rénovation de n’importe quelle bannière, c’est parce que toutes les autres solutions ont été épuisées.»

Cliquer ici pour écouter le reportage intégral afin de bien comprendre la position de l’AQMAT.

Darveau s’est dit sidéré. «Comme tous vos auditeurs, c’est certain. Plus personne ne veut jeter. On veut de la durabilité. Sinon, de la réutilisation ou du recyclage, selon la nature du produit et de sa deuxième vie possible.»

Quelles sont-elles ces pistes alternatives aux poubelles?

Dans les faits, Home Depot, comme ses concurrents, est soumis à des obligations environnementales pour nombre de catégories de produits, dont les ampoules incandescentes, les piles et batteries, la peinture, etc.

La variable santé et sécurité joue aussi son rôle. L’Office de protection du consommateur, Santé Canada ou d’autres instances vont de temps à autre ordonner le rappel de certains produits. Ceux-ci seront rarement repris par le distributeur. Alors, le marchand n’a d’autre alternative, hélas, que le compacteur.

Normalement, un produit invendu qui n’est pas considéré comme dangereux et toujours utile sera soldé, progressivement, à des prix de plus en plus bas, jusqu’au moment où il faudra faire de la place pour du nouvel inventaire sur le plancher. Certains auront aménagé un coin permanent pour les liquidations finales ou organiseront des simili ventes de garage ponctuellement.

Il faut savoir que de la marchandise dans une grande surface, il y en a beaucoup: le coûtant de l’inventaire moyen d’un centre de rénovation de grande surface qu’on retrouve au Québec va facilement valoir de l’ordre de 7-8 millions de dollars. La marchandise tourne entre trois à cinq fois par année pour faire face aux cycles saisonniers.

Détail non négligeable à relever, les ventes par internet, en forte croissance, génèrent un taux beaucoup plus important de retour de marchandise.

La deuxième voie de sortie privilégiée chez Home Depot, c’est Habitat pour l’Humanité. L’organisme sans but lucratif que cette bannière a contribué à fonder opère deux magasins à vocation sociale où de la quincaillerie et des matériaux sont cédés à prix amical aux familles dans le besoin, puis le profit de ces ventes sert à financer à son tour la construction de logements abordables. Un joli cercle vertueux.

La plupart des dirigeants des autres centres de rénovation vont prendre des ententes avec Habitat ou avec des organismes de leur milieu pour faire don ou leur accorder des rabais substantiels. Parfois même un quincaillier va offrir directement à une famille dans le besoin des produits invendus.

L’autre option consiste à mettre à contribution le fabricant ou le distributeur. Il pourra s’organiser pour cueillir la marchandise par ses propres moyens, sinon accepter de payer des frais pour une cueillette par un transporteur ou encore, payer un pourcentage forfaitaire au départ de son contrat aux fins que le marchand dispose à son gré de ladite marchandise invendable.

Généralement, la clause recommandée par les bannières sera la dernière évoquée, celle qui lui donne droit de liquider, de recycler, de détruire à son gré. Au préalable, le fournisseur aura accepté qu’un certain pourcentage de sa production livrée ne sera jamais vendue; on parle ici de 0,25 à 1 % de sa marchandise, variable selon la catégorie de produits et le pouvoir de négociation de chaque fournisseur.

Autrement dit, le fournisseur sera tacitement encouragé à s’en laver les mains, les deux parties préférant souvent responsabiliser le détaillant que d’avoir le trouble et les coûts de reprendre la marchandise.

L’enquête des journalistes semble constater que certains dirigeants de commerces optent pour la voie facile, celle du compactage/jetage quand ils se sentent à court de moyens avec trop de produits déballés, parfois endommagés, dont les soldes n’ont pas réglé le sort, ni même les dons à des organismes. C’est alors que l’énergie déployée pour ne pas utiliser l’arme ultime qu’est le compacteur semble varier d’un profil de dirigeant de centre de rénovation à un autre. Et cela est vrai pour toutes les bannières, évidemment.

Observation de Richard Darveau: «Les politiques d’une multinationale, c’est une chose, leur application, leur interprétation localement peut en être une autre. Les dirigeants des succursales sont au baromètre de la population en général; certains feront plus d’efforts pour jeter le moins possible, pour donner aux ménages défavorisés, d’autres se montreront moins entrepreneuriaux, moins conscientisés par rapport à la planète.»

Les surplus de chantiers sont un autre défi pour notre industrie. Les scénarios de leur deuxième vie ne sont pas faciles à trouver tant pour le consommateur qui vient de finir des travaux chez lui que pour le professionnel de la construction.

Home Depot Canada s’engage à améliorer continuellement la durabilité de ses produits et de ses opérations et à redonner aux collectivités. Sa direction rappelle que l’année dernière, l’entreprise a recyclé 15 100 tonnes de carton de nos magasins et centres de distribution.

Home Depot rappelle aussi que ses succursales ont recueilli 326 000 livres de produits électroniques ménagers, d’outils électriques, de téléphones portables et d’autres batteries rechargeables pour le recyclage responsable. «Les produits sont retournés aux fournisseurs, réglés pour le dédouanement, ou doivent être détruits en raison de problèmes réglementaires, de problèmes de sécurité ou de défauts.»

Le chroniqueur Patrick Duquette pour les Coops de l’information ose retourner le miroir vers les consommateurs: «Si les gros détaillants passent des produits neufs au compacteur pour faire de la place sur leurs tablettes, c’est aussi parce que nous, les consommateurs, voulons acheter des produits neufs, emballés dans d’impeccables boîtes de carton.»

Le chroniqueur insiste: «Personne ne veut d’un produit remballé dans une boîte à moitié déchirée ou rafistolée avec du papier collant. On veut la boîte neuve, le produit original, vierge, intact. Quand on pointe le gaspillage chez Home Depot, il faudrait noter que sous notre doigt accusateur, les trois autres doigts pliés sont tournés vers nous. Les gros détaillants adoptent des pratiques de vente pour plaire à leurs consommateurs. C’est nous ça.»

Greeepeace invite le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, à accélérer la transition vers une «véritable économie circulaire et zéro déchet qui oblige tous les secteurs à repenser leurs modèles d’affaires».

Pour cet organisme activiste, tant que les entreprises ne seront pas tenues responsables du cycle de vie complet de leurs produits et de leurs stocks, «des entreprises comme Home Depot pourront et continueront à prendre, fabriquer et gaspiller conformément à notre système économique linéaire et brisé».

Au niveau du gouvernement du Québec, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, dit trouver «inacceptable» que des tonnes d’articles neufs soient envoyées aux ordures par la chaîne Home Depot et ouvre la porte à l’adoption d’une législation afin d’encadrer de telles pratiques. il ajoute: Il existe des exemples ailleurs dans le monde où la législation encadre les invendus qui sont une source d’inspiration pour le Québec. Nous étudions la question», a-t-il déclaré.

Tous les partis, des deux paliers, réclament une modification législative. Pour sa part, l’AQMAT «accueillerait, à bras plus ouverts qu’une loi, un programme gouvernemental qui encouragerait ses membres à adopter des pratiques favorisant l’économie circulaire en quincaillerie et sur les chantiers.»

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