Le 15 juin 2017, la Cour suprême du Canada (CSC) a publié sa décision très attendue dans l’affaire du congédiement d’un employé occupant un poste où la sécurité est une question sensible (ayant été impliqué dans un accident au travail alors qu’il avait consommé de la cocaïne). La CSC a maintenu le jugement de l’Alberta Human Rights Tribunal à l’effet que cela ne constituait pas une discrimination illégale.
Ce cas (Stewart v. Elk Valley Coal Corp) constitue un précédent important qui pourra orienter les employeurs quant à la manière de rédiger leurs politiques en matière de drogues et d’alcool à l’avenir.
Les faits
L’appelant, M. Stewart (Stewart), travaillait dans une mine exploitée par Elk Valley Coal Corporation (Elk Valley) comme conducteur de camion de transport. Elk Valley avait établi une politique en matière d’alcool et de drogues (politique) qui interdisait aux employés de consommer des drogues et leur imposait de lui divulguer leur dépendance ou accoutumance, de manière à ce qu’un accommodement puisse leur être offert. Toutefois, la politique prévoyait également que des mesures disciplinaires ou le congédiement seraient inévitables pour les employés obtenant un résultat positif à un test de dépistage après un accident et n’ayant pas préalablement demandé un accommodement. Elk Valley a mis fin à l’emploi de Stewart à la suite d’un résultat positif à un test de dépistage de drogues après un accident au travail. Son syndicat a porté plainte auprès de l’Alberta Human Rights Commission, en soutenant que Stewart souffrait d’une déficience en raison de sa dépendance et qu’il avait été congédié en raison de sa déficience. Elk Valley soutenait, quant à elle, que Stewart aurait pu divulguer volontairement sa dépendance et que, le cas échéant, un accommodement lui aurait été offert. Cependant, Stewart n’a jamais mentionné sa dépendance avant la survenance de l’accident. La lettre de congédiement émise par Elk Valley indiquait clairement que Stewart avait été congédié parce qu’il avait omis de divulguer sa dépendance conformément à la politique. Au final, cette lettre de congédiement a été considérée comme un facteur de preuve important par la CSC.
La décision du tribunal
Le tribunal a convenu que la dépendance à la drogue de Stewart était une déficience protégée en vertu de l’Alberta Human Rights Act. Le tribunal a cependant conclu que Stewart « [TRADUCTION] n’avait pas été congédié en raison de sa déficience, mais bien en raison de son omission d’arrêter de consommer de la drogue et de travailler avec les facultés affaiblies et de son omission de divulguer sa consommation de drogues ». En l’occurrence, le congédiement était attribuable à une violation de la politique, la déficience de Stewart n’ayant pas constitué un facteur de ce congédiement. (…)
La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (Cour) a convenu que Stewart n’avait pas été congédié en raison de sa déficience, mais parce qu’il avait omis de respecter la politique. Cependant, la Cour n’a pas partagé l’avis du tribunal quant à ce qu’était un accommodement raisonnable. Stewart a fait appel de la décision de la Cour sur la question de la discrimination, et Elk Valley, sur la question de l’accommodement. Finalement, la Cour d’appel de l’Alberta a rejeté l’appel et déclaré que le tribunal avait correctement reconnu que le congédiement de Stewart était attribuable à son non-respect de la politique, et non à sa déficience.
Décision de la Cour suprême
Dans une décision majoritaire (8 contre 1), la CSC a rejeté l’appel de Stewart, concluant que la dépendance de celui-ci n’avait pas été un facteur de son congédiement. Stewart n’a pas respecté les modalités de la politique – un fait clairement mentionné dans la lettre de congédiement qu’Elk Valley lui a remise. En outre, la CSC a fait preuve de déférence envers la conclusion du tribunal selon laquelle Stewart était en mesure de respecter la politique et que, par conséquent, celle-ci ne le lésait pas. Fait important, la CSC a soutenu que la simple existence d’une dépendance n’établissait pas une preuve prima facie de discrimination. Bien qu’elle a fait preuve de déférence envers la décision du tribunal dans ce cas, la CSC a cependant indiqué que le non-respect d’une politique par un employé pouvait être un symptôme de sa dépendance ou de sa déficience. (…)
Conséquences
La décision de la CSC confirme que les employeurs canadiens peuvent s’appuyer sur les dispositions d’une politique en matière de drogues et d’alcool qui exigent que les employés occupant un poste où la sécurité est une question sensible divulguent eux-mêmes leur dépendance avant la survenance d’un accident au travail. Cette décision confirme également qu’un employé ne peut pas toujours faire valoir qu’il est en déni de sa déficience lorsqu’il prétend que l’employeur a omis de l’accommoder. À l’avenir, cette décision devrait encourager les employeurs dont les milieux de travail sont sensibles sur le plan de la sécurité à examiner leur politique en matière de drogues et d’alcool pour s’assurer que celle-ci impose adéquatement à leurs employés de divulguer leur dépendance avant qu’un accident ne survienne. Une telle politique devrait également mentionner que les employés peuvent avoir accès à des programmes d’aide pour obtenir le traitement dont ils ont besoin. Lorsqu’une telle politique prévoit un accommodement à l’intention des employés qui la respectent et des mesures disciplinaires pour ceux qui ne la respectent pas, l’employeur peut imposer des mesures disciplinaires aux employés qui ne divulguent pas leur dépendance, que ceux-ci la reconnaissent ou non.
Une analyse de Bernadette Ho, du cabinet NORTON ROSE FULBRIGHT, parue dans l’infolettre du Conseil du patronat du Québec (CPQ).
On peut aussi trouver de l’information pertinente sur la question sur le site web du Centre patronal de santé et sécurité au travail du Québec (CPSSTQ)