Convertir un bureau en logements peut prendre jusqu’à… 23 ans!

Radio-Canada nous apprend qu’entre l’acquisition d’une tour à bureaux à Ottawa et la transformation en logements pour y accueillir des familles à faible revenu, il va s’écouler… 23 ans. Cela alors que sévit une crise du logement sans précédent.

Avec la popularité du télétravail, la transformation d’édifices fédéraux vides en immeubles d’habitation est souvent présentée comme une solution facile à la crise du logement. En réalité, le processus est très long et complexe.

Voici l’essentiel du reportage de la journaliste Laurence Martin disponible ici.

Le 1010, rue Somerset à Ottawa compte deux étages. Il a accueilli pendant des années des fonctionnaires du gouvernement fédéral qui venaient y travailler chaque jour.

En juin 2015, le ministère des Travaux publics, chargé de l’édifice, décide qu’il n’en a plus besoin. La propriété est alors déclarée « excédentaire ».

Des années passent. La valeur marchande du bâtiment est évaluée, tout comme sa condition physique. Cinq ans plus tard, en août 2020, un processus fédéral obligatoire de consultations est amorcé. Il faut voir si d’autres entités publiques s’y intéressent.

La Ville d’Ottawa, qui possède le terrain juste à côté, lève la main. Elle prévoit y construire un nouveau centre récréatif, un parc, une école francophone, possiblement, et surtout des tours résidentielles avec 150 logements sociaux.

Radio-Canada a demandé quand les premières familles pourront y emménager. Sa réponse : d’ici 2038. Donc 23 ans après la déclaration de l’édifice comme excédentaire.

Un long processus

Le 1010 Somerset fait d’ailleurs partie de l’Initiative des terrains fédéraux (ITF) lancée en 2018 par le gouvernement Trudeau avec l’objectif de construire 4000 logements, dont plusieurs à vocation sociale, à partir d’édifices ou de terrains vides du gouvernement.

Cinq ans plus tard, à mi-chemin de l’échéancier de 10 ans prévu pour céder les terrains, seulement 204 unités sur 4000 ont été construites et sont maintenant habitées, selon des données obtenues par Radio-Canada.

Ce projet des Habitations l’Équerre à Sherbrooke est l’un des deux projets de l’Initiative des terrains fédéraux dont la construction est terminée. (PHOTO : RADIO-Canada)

La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), qui chapeaute l’initiative fédérale, demeure convaincue qu’elle respectera sa cible initiale de 4000 logements d’ici 2027-2028 et même qu’elle pourra la dépasser.

La lenteur du procédé de transformation des biens fédéraux va au-delà de la lourdeur des réglementations municipales, souvent montrées du doigt.

Ce qui est particulièrement long, ce seraient les consultations qui doivent avoir lieu, quand un ministère a décidé qu’il n’a plus besoin d’un édifice ou d’un terrain.

Selon une directive gouvernementale, le bien doit d’abord être offert aux autres ministères, aux sociétés d’État, aux provinces, aux villes et aux groupes autochtones, qui ont la priorité pour récupérer le bien fédéral. À lui seul, ce processus peut prendre plusieurs années.

Ce n’est qu’une fois ces consultations terminées que l’édifice ou le terrain peut être transformé pour accueillir des logements, mais là encore, d’autres étapes sont souvent nécessaires.

Il faut parfois décontaminer le terrain, modifier le zonage, consulter la communauté locale, et même réaliser des travaux d’aménagement initiaux, avant de pouvoir passer le témoin aux développeurs et aux constructeurs.

Il y a quelques semaines, le gouvernement Trudeau annonçait fièrement que près de 30 000 nouveaux logements allaient être construits sur des terrains excédentaires du gouvernement fédéral d’ici 2029. Mais comment peut-il y arriver dans des délais, somme toute, assez courts?

En réalité, certains de ces terrains sont inoccupés depuis au moins une ou deux décennies. Le long procédé de consultations pour voir si d’autres entités publiques ou groupes autochtones sont intéressés a déjà eu lieu.

Par exemple, l’annonce fédérale promettait 307 nouveaux logements au Village des Riverains, un site qui abritait autrefois l’ancienne base militaire Rockliffe, à Ottawa, mise hors service en 1994 – il y a près de 30 ans – et ce n’est qu’en 2011 que la Société immobilière du Canada l’a finalement acquise, après une ronde de consultations fédérales. Les travaux d’infrastructure, pour construire des égouts et de nouvelles rues, n’ont débuté qu’en 2016, là aussi après une longue période de discussions communautaires et de planification avec la Ville. Les premières maisons n’ont commencé à apparaître qu’en 2017. On est loin d’un processus rapide.

Pas de liste d’édifices fédéraux vides

Autre défi administratif : le gouvernement Trudeau n’a pas en sa possession de liste centrale qui compile le nombre total d’édifices fédéraux vides. Chaque ministère est responsable de son propre parc immobilier. Difficile, donc, de prévoir le nombre de logements qu’on peut bâtir à partir de propriétés fédérales quand on ne sait même pas combien d’entre elles sont vacantes à l’heure actuelle.

Des améliorations sont nécessaires, dit Ottawa

En entrevue à Radio-Canada, le ministre fédéral du Logement, Sean Fraser, reconnaît, d’une part, qu’il faut une liste centralisée de biens fédéraux vides et, d’autre part, que le processus de consultation en place, bien que nécessaire, est trop long et doit être revu.

Il précise d’ailleurs que la transformation des biens fédéraux en logements n’est pas aussi facile qu’on le pense.

Pourtant, son collègue Jean-Yves Duclos, qui est à la tête du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement, laissait plutôt entendre le contraire récemment, en point de presse. Selon lui, plusieurs édifices gouvernementaux vides sont assez facilement, dans certains cas, aménageables en logements et en résidences abordables.

Une idée que nuance le porte-parole de l’Association de la construction du Québec, Guillaume Houle, ne serait-ce que d’un point de vue logistique ou structurel : « Une tour à bureaux n’a pas été réalisée pour être une tour à logements ».

En effet, explique-t-il, dans un édifice fédéral, les toilettes sont souvent regroupées à un endroit, alors qu’il en faut dans chaque unité dans un immeuble de logements. Les besoins en électricité ne sont pas les mêmes. La ventilation, qui doit être à un niveau presque industriel dans un immeuble à bureaux, n’a pas besoin d’être aussi prépondérante dans des habitations.

Bref, les changements à effectuer sont tellement importants et complexes que, souvent, explique-t-il, le plus rentable pour un promoteur, c’est littéralement de démolir le bâtiment et d’en construire un nouveau.

Donc, si les propriétés fédérales vacantes, souvent bien situées au cœur des villes, représentent une piste de solution alléchante à la crise du logement pour les politiciens, force est de constater qu’avec les procédés actuels, la transformation d’un édifice ou même d’un terrain vide ne peut se faire du jour au lendemain.

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