Blocus ferroviaire : l’AQMAT monte à son tour aux barricades

Trop de membres ont communiqué leur inquiétude quant aux impacts à court et moyen terme du blocage des voies ferrées par une nation autochtone qui s’oppose à un projet de pipeline de gaz en Colombie-Britannique pour que l’AQMAT se contente de regarder la saga. On plonge à notre tour.

« Le secteur de la quincaillerie et des matériaux de construction sera aux premiers rangs des victimes en raison du facteur saisonnier qui prévaut chez nous », lance Richard Darveau, président et chef de la direction, dans une lettre adressée au premier ministre du Canada.

« Noël, dans notre industrie, rappelle M. Darveau dans sa lettre à M. Justin Trudeau, ça se déroule au printemps. Tout se joue dans le deuxième trimestre, d’avril à juin, puis dans le trimestre suivant dans une moindre mesure. Or, le blocage des voies ferrées qu’emprunte le CN ralentit dramatiquement la livraison des marchandises depuis les récentes semaines, plusieurs grands distributeurs ne recevant qu’un sixième de leurs commandes ».

La situation d’acheminement au compte-gouttes menace des centaines de millions de dollars en commandes, sinon plus, notamment pour la marchandise estivale.

« À quoi bon recevoir un ensemble de patio en magasin au mois d’août. Ce temps perdu ne se rattrape plus sur le plan des affaires dans nombre de catégories de produits », poursuit M. Darveau.

L’infolettre de l’AQMAT préfère taire le nom de ses sources pour ne pas nuire à leurs affaires avec les bannières, mais l’un des distributeurs nous a confié que son entreprise avait présentement l’équivalent de 20 wagons du CN bloqués sur les rails. Un wagon équivaut en gros à trois camions-remorque (vans). La même quantité de marchandises est bloquée dans certains ports où tout mouvement est quasiment stoppé.

On peut donc craindre une rupture de stocks en magasin si la situation ne revient pas rapidement à la normale. Sont particulièrement appréhendés les manques en livraison de contreplaqué et de bois de grande dimension pour ce que produit l’Ouest canadien à destination de nos marchés, notamment en sapin de Douglas pour les poutres, mais également les importations asiatiques qui, comme on le sait, arrivent par bateau aux ports de Vancouver et de Prince-Rupert après avoir franchi le Pacifique. Ici sont visés plusieurs départements de la jardinerie et de la quincaillerie.

Un autre joueur de l’industrie fait preuve d’ingéniosité dans les circonstances en considérant un détour des bateaux provenant d’Asie par le canal de Panama. Le parcours s’en trouve prolongé de deux à trois semaines, mais au moins, la marchandise arrive au port de Montréal d’où on peut avoir plus de contrôle.

« Je n’avais pas le choix, dit notre intervenant. J’ai 16 wagons de gros bois en attente sur le chemin de fer en provenance de BC. Fallait un plan B »

Les périodes de dégel : un deuxième enjeu

Richard Darveau a également sensibilisé la classe politique aux coûts engendrés par les périodes de dégel qui pointent le nez à mesure que le temps froid s’éloigne.

Nos membres tentent toujours de livrer la marchandise dans leurs entrepôts locaux ou dans les centres de distribution des bannières à un rythme régulier durant la saison morte afin d’éviter mars et avril, car les coûts sont alors augmentés de 4 à 5 % parce que les charges utiles des camions prenant le relais du train aux différentes gares doivent être réduites.

En effet, selon le ministère des Transports du Québec, en période de dégel, la route est de 30 % à 70 % plus fragile qu’en temps normal.

Or, les dates de début et de fin de la période de restriction des charges pour chacune des zones de dégel sont les suivantes au Québec :

  • Zone 1 : du lundi 9 mars (00 h 01) au vendredi 8 mai (23 h 59)
  • Zone 2 : du lundi 16 mars (00 h 01) au vendredi 15 mai (23 h 59)
  • Zone 3 : du lundi 23 mars (00 h 01) au vendredi 22 mai (23 h 59)

Il est à noter que les dates visées sont les plus probables, mais selon l’évolution des conditions météorologiques, elles peuvent être avancées ou retardées.

Comme nous disait un autre grand joueur de l’industrie, placer 24 paquets au lieu de 26 dans un camion peut sembler anodin, mais en fait, un écart de l’ordre de 10 % vient gruger sérieusement la marge. Qui va payer pour ces surcoûts?  Le distributeur devra gober la différence puisque les contrats sont souvent signés sur une base forfaitaire avec les bannières. « À moins qu’il ne s’agisse d’un « Act of God », mais l’assurance n’assimile par les Amérindiens, aussi spirituels soient-ils, à la catégorie divine », de nous dire un intervenant qui tente de rire du drame qu’il vit.

Cerise sur le sundae, les frais de camionnage risquent fort d’être augmentés aussi par un déséquilibre entre l’offre et la demande. Nos membres vont perdre tout pouvoir de négociation auprès des transporteurs si les marchandises continuent de s’empiler. Autrement dit, ces derniers auront beau jeu de fixer leurs prix et leurs conditions.

Un effet à la chaîne

Un dirigeant logistique de bannière nous a démontré à quel point la question de l’acheminement retardé des marchandises impacte même le marketing : comment préparer les circulaires et les promotions si on ignore lesquels des produits commandés seront livrés à temps? Voilà une des questions qui tuent.

Regardons maintenant le problème du bout de la lorgnette du marchand local : devrais-je embaucher le personnel saisonnier prévu avec l’incertitude d’avoir un centre jardin dégarni au printemps venu?

Notre industrie a emprunté depuis les récentes années l’approche du juste-à-temps (just in time) en raison du coût de l’espace d’entreposage et de l’agilité que commandent les affaires modernes. Les magasins et avant eux les centres de distribution des groupements d’achats doivent donc être approvisionnés plus régulièrement qu’avant, ce qui devient impossible en étant amputé d’une partie du transport ferroviaire.

Débloquez pour dialoguer

Le porte-parole de l’AQMAT regrette que l’opposition de la nation wet’suwet’en au Coastal GasLink, manifestée dès le début du projet en 2012 et renforcée en octobre 2018 lors des annonces officielles, n’ait pas été prise avec sérieux et respect. « L’économie, la consommation, les emplois dans tout le pays sont aujourd’hui victimes du peu d’intérêt que les politiciens de l’époque accordaient à ce qu’il convient aujourd’hui d’appeler l’acceptabilité sociale ».

La direction de l’AQMAT encourage le gouvernement du Canada à jouer le rôle fédérateur que son statut même lui confère afin que la circulation des biens et des personnes reprenne à la normale, quitte à forcer l’arrêt complet du projet de pipeline dans le but de créer des conditions propices à un dialogue entre toutes les parties prenantes.

« La crise nous indique à quel point nous sommes dépendants d’un seul rail ou presque pour couvrir un si grand pays », s’interroge à voix haute M. Darveau.

Lien vers un article publié ce matin par le Journal de Montréal sur le même sujet : https://www.journaldemontreal.com/2020/02/26/blocus-ferroviaires-penurie-anticipee-du-cote-des-materiaux-de-construction

Une première consultation de l’AQMAT auprès de grands importateurs des pays asiatiques et de distributeurs avec l’Ouest canadien permet de constater que le drame financier et physique s’annonce d’ampleur pour notre industrie du fait principalement que 25 à 50 % de toute la marchandise est attendue dans les quincailleries et centres de rénovation au plus tard pour le début d’avril.

Et le coronavirus? Deux de nos membres qui font fabriquer certaines de leurs gammes de produits en ont profité pour nous parler des problèmes causés par le Covid-19. Selon nos informations, leurs partenaires en Asie ont tous eu la permission de rouvrir leurs usines locales. Par contre, le personnel est manquant puisque plusieurs citoyens sont en quarantaine dans leurs villes respectives.

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