À gauche comme à droite, tant chez les défenseurs des locataires que les promoteurs de la construction neuve, incluant la direction de l’AQMAT, le gouvernement du Québec ne saisit pas l’amplitude de la crise de l’habitation, ses impacts non seulement sur l’économie, mais aussi sur le climat social et la santé de la population.
On comprend que la ministre France-Élaine Duranceau ait besoin de temps pour pondre un plan d’action en habitation susceptible de s’attaquer aux racines du ratio déséquilibré entre le nombre de logements décents et à prix abordable et la capacité de payer de la classe moyenne et des plus défavorisés.
N’empêche, son collègue Éric Girard, ministre des Finances, semble avoir raté une belle occasion de corriger la situation décriée par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) qu’on ne saurait accuser de faire de la politique, à savoir qu’environ 148 000 unités de logement doivent lever de terre chaque année jusqu’en 2023 pour retrouver un sain équilibre entre l’offre et la demande, termes froids pour référer en fait au besoin que tout citoyen d’un pays riche comme le nôtre devrait pouvoir satisfaire : se loger décemment sans s’appauvrir.
Le jour de l’annonce du congé de TPS annoncé par le premier ministre Trudeau, l’AQMAT a été la première à proposer à son homologue, François Legault, d’emboîter le pas en exemptant de TPS toute construction d’immeubles locatifs tant et aussi longtemps que le marché ne s’est pas régulé.
On aurait été en droit d’attendre une mesure opportune afin d’accélérer l’intérêt municipal à convertir en logements tous ces immeubles à bureaux vides – et qui le resteront, le télétravail va demeurer.
Une autre urgence, climatique celle-là, commandait selon nous un programme agressif pour aider au financement de travaux de rénovation écoénergétique, ne serait-ce que par souci de cohérence avec le discours tenu par un autre ministre, Pierre Fitzgibbon, qui demande à la population de moins consommer d’énergie.
Nous avons vu passer une idée de l’Association de la construction du Québec (ACQ) et ne pouvons qu’y souscrire. Elle suggère que le gouvernement accorde les mêmes conditions de taux préférentiels aux emprunteurs hypothécaires résidentiels que ce dont vont profiter les entreprises – souvent étrangères – appelées à nourrir la filière batteries électriques.
L’ACQ propose également, avec à-propos, que le gouvernement du Québec donne aux municipalités des pouvoirs temporaires pour stimuler la construction de nouvelles unités d’habitation, souvent entravée par une complexité réglementaire et administrative, y compris des règlements municipaux variés, des délais de traitement des permis prolongés, des réglementations environnementales strictes, sans oublier un manque de coordination entre les différents acteurs. Le texte prononcé par le ministre Girard nous donne l’espoir que le gouvernement va bouger dans cette direction.
Il faut l’espérer, car les membres de l’AQMAT nous témoignent régulièrement de délais et de procédures dignes des 10 travaux d’Astérix, souvent en raison du phénomène du « pas dans ma cour », une attitude qui retarde entre autres la nécessaire densification des villes.
On se souvient que la « Loi sur l’accélération de certains projets d’infrastructures » avait été adoptée promptement en réponse à la pandémie. Je n’ai aucune hésitation à croire que tous les partis à l’Assemblée nationale appuieraient des mesures permettant à tous les Québécois d’accéder plus rapidement à des logements abordables et sécuritaires.
Ce point est critique quand on sait à quel point l’argent dort longtemps parce que la bureaucratie encrasse la délivrance des permis et autres autorisations accouchant sur des chantiers de construction.
Le ministre Girard a annoncé l’ajout de 8000 logements abordables d’ici 5 ans grâce à une injection supplémentaire de 1,8 milliard de dollars, moitié-moitié avec le fédéral. Mais les verrons-nous réellement? Pas si le passé est garant de l’avenir. Des façons de faire doivent changer parce qu’on est en crise.
Terminons sur le mot « abordable » qui peut vouloir dire plusieurs choses, selon qui le prononce. Appelons un chat, un chat, et parlons de logement social et communautaire. Ce sont ces laissés-pour-compte, qui deviennent itinérants ou malades chroniques ou malfaiteurs, ou les trois à la fois, qui représentent notre plus gros fardeau financier et notre plus importante faillite sociétale. Il faut avoir le courage d’exiger du gouvernement qu’une large proportion des enveloppes budgétaires et des priorités des villes soit dirigée vers ces clientèles. Car chaque individu qu’on aide à sortir de l’un de ces cercles vicieux procure des effets structurants sur nos entreprises, sur le marché de l’habitation et dans nos consciences.