L’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT) a rendu publics, cette semaine, les résultats d’une importante enquête confirmant que le mouvement de consolidation qui sévit dans notre industrie entraîne un lot d’effets secondaires sur les usines québécoises.
Il en ressort que plus d’un manufacturier sur deux (54 %) affirme subir des contrecoups négatifs du phénomène de réduction du nombre de bannières et donc, de débouchés pour eux. Un bien moins grand nombre (18 %) bénéficierait de la consolidation alors que les autres (28 %) n’en ressentiraient pas vraiment d’effet.
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Les dommages enregistrés sur les revenus des entreprises considérant que la consolidation des marchés leur a été défavorable depuis les trois dernières années varient de 1 % à 20 %, selon chacune des 33 entreprises répondantes. Idem pour les trois années à venir. En revanche, celles qui gagnent dans ce jeu du quitte ou double affichent des projections de croissance du même ordre.
Les achats groupés n’ont pas commencé avec l’acquisition de RONA par Lowe’s, il y a 18 mois, quoi qu’en disent certains journalistes et les politiciens, reprenant un article erroné paru plus tôt dans Les Affaires.
Le phénomène remonte à plus ou moins 50 ans, alors que sont créés successivement Home Hardware, BMR, TimberMart et plusieurs autres. Et 25 ans avant eux, il y a eu la création de RONA.
Nous comprenons qu’en passant à des mains américaines, RONA fait couler plus d’encre. Comme en leur temps, la disparition d’autres fleurons québécois comme Dismat, Unitotal,Marchands-Unis, FerPlus, Goineau Bousquet, Pascal ou le Castor bricoleur, ou encore Lumberland ou Val Royal, ont aussi fait les manchettes. Certains des magasins opérant sous ces bannières ont disparu, mais la grande majorité existe encore. Sauf qu’ils appartiennent à un plus petit nombre de joueurs.
En fait, en acquérant BMR en 2015, La Coop fédérée est venue bousculer le marché de la quincaillerie. S’en suit un mouvement irréversible de Pacman au sein de cette famille où vraisemblablement, la centaine de coops régionales sera réduite à un nombre inférieur à dix avant 2020. Mais puisque ça reste entre nous, entre entités québécoises, c’est moins sexy d’un point de vue médiatique…
La consolidation prend des formes régionales aussi. Les magasins Matco et plus récemment les Potvin Bouchard sont devenus propriété de BMR, donc de La Coop fédérée. Les magasins autrefois indépendants opérés par les familles Coupal ou Marcil appartiennent maintenant à RONA, donc à Lowe’s.
À un niveau encore plus local, le binôme un marchand/une succursale devient une espèce en extinction. Pas une semaine ne se passe sans que notre organisme n’annonce que tel centre de rénovation va maintenant opérer le commerce voisin, puis un troisième.
Les médias ignorent d’autres phénomènes propres à notre industrie en contribuant massivement à l’obligation qu’ont nos manufacturiers, comme ceux du reste du monde, de devenir des entités de production plus aptes à suivre le rythme de leurs clients, devenus plus gros, par acquisitions et groupements d’achats.
Un exemple parmi d’autres : la création d’Octo (octo.ca). Sous le radar se transigent des millions sous cette plateforme où se côtoient des joueurs dominants, comme Canac, Castle, Toolway et Torbsa.
Autre exemple peu connu : ILDC (ildc.com). Des marchands pourtant en concurrence directe sur la place publique, tels BMR et Patrick Morin, aux côtés de leaders régionaux comme Levebvre & Benoit, Laferté ou Matériaux P. Bonhomme, trouvent intérêt à procéder à des négociations d’achats ensemble afin de réduire leurs coûtants, surtout en ce qui concerne les matériaux dits de commodité.
Les manufacturiers qui ont répondu à notre enquête connaissent la réalité que j’esquisse à peine dans cette missive. Et c’est dans cette mouvance générale, en route continue vers un rapetissement accéléré du nombre d’acheteurs pour les produits fabriqués ici, que notre enquête trouve son sens.
Lier les effets sondés strictement à l’arrivée de Lowe’s dans le décor, c’est être prisonnier d’un modèle mental, à consonance politique plus qu’économique, auquel l’AQMAT n’adhère pas. Les chiffres non plus.
En effet, nous avons procédé il y a trois ans à pareille enquête et la consolidation déjà commencée faisait son lot de victimes et de gagnants, dans des proportions semblables.
Dans le même ordre d’idées, nos études ne sont pas en mesure de confirmer qu’une ou l’autre de la dizaine de bannières majeures évoluant au pays dans notre secteur d’activités propose une offre en produits québécois ou canadiens inférieure ou supérieure à leurs concurrents. Pourquoi en serait-il autrement? La maison est un bien fortement culturel, social et émotif, les bannières et leurs magasins corporatifs ou affiliés ont un intérêt capitaliste direct à offrir aux consommateurs des produits conçus, assemblés et le plus possible fabriqués plus près en raison des chances multipliées de plaire aux clients.
L’arrivée de multinationales provoque bel et bien une rationalisation des fournisseurs qui frappe toutefois ses limites en raison de la nature régionale des styles, des tendances et des codes de construction en vigueur dans chaque province et État.
Bref, il n’y a pas d’éléphant dans la pièce dont nous voudrions sciemment ignorer la présence.
Les acquisitions et les regroupements d’achats à des fins d’économie sur les coûts commencé dans les années soixante se poursuivront, nonobstant les tentatives que certains poursuivent de simplifier la chose en un mot : RONA (ou Lowe’s).
Il peut aussi être bon d’enseigner que toutes les grandes surfaces dites corporatives, tant médiatisées, existant dans notre paysage économique depuis 40 ans au Québec, ne représentent encore qu’une minorité des ventes (29 %), du nombre de magasins (20 %) et des pieds carrés (45 %). L’apparente oligarchie n’existe pas. Sauf aux yeux de ceux qui tiennent à la voir.
Par ailleurs, certains articles affirment que la ministre Anglade a qualifié notre enquête de pas sérieuse. J’ai vérifié le verbatim des travaux en chambre du 13 avril pour y lire plutôt que la ministre ne trouve pas sérieux d’établir des liens entre les répondants à notre enquête et la situation qui prévaut spécifiquement chez RONA puisque la question de filiation entre ces tenants et aboutissants n’a pas été posée par nous.
Je saisis l’occasion de rappeler que le marché québécois repose solidement sur plus de 700 commerces familiaux, affiliés ou non à des bannières, indépendants quant à leur approvisionnement, et chez qui tout fabricant, aussi petit et local est-il, demeure le bienvenu; comme le prouvent les débats survenus à notre congrès ces derniers jours, les années à venir seront témoins d’une recrudescence de la volonté de la quincaillerie locale de se démarquer par des produits exclusifs et des services personnalisés.
D’autres volets du sondage dévoilent l’importance pour nos manufacturiers de diversifier leurs marchés et donc, d’étendre géographiquement leurs efforts de vente afin de ne pas être captifs ou victimes lorsque survient un nouveau regroupement d’achats ou une nouvelle acquisition.
Force est de constater que les manufacturiers devront choisir un modèle entre deux extrêmes : grandir pour satisfaire les acheteurs agglomérés, approche qualifiée par certains de « suivre la parade ». Ou à l’opposé, opter pour une échelle humaine d’entreprise afin de satisfaire les attentes de centaines de marchands-propriétaires qui, tout en profitant des offres génériques de leur bannière, souhaiteront de plus en plus se distinguer de leurs concurrents avec des produits innovants et si possible, exclusifs.
Richard Darveau, président et chef de la direction de l’AQMAT
Longueuil, 14 avril 2017