
On commence par le pot avant les fleurs : aucune mesure de stimulation des chantiers de construction ni des rénovations.
Richard Darveau et sans doute ses homologues des autres associations gravitant autour de l’habitation ne sont pas étonnés, mais déçus. « Pas surpris parce que les rumeurs allaient dans le sens d’une non-intervention de l’État. Mais déçus parce que notre lecture des statistiques du logement et des besoins criants exprimés notamment au nom des ménages les moins fortunés n’autorisait pas un tel silence », commente le président de l’AQMAT.
Les représentations vont se multiplier pour forcer l’opinion publique et les oppositions à amener le présent gouvernement du Québec à mieux se connecter sur le réel. Et en parallèle, l’AQMAT entend mettre à l’agenda des partis en lice à l’élection fédérale la nécessité de redémarrer les chantiers et de soutenir les propriétaires résidentiels afin d’éviter que les tarifs de part et d’autre de la frontière ne viennent encore plus tiédir les ardeurs des promoteurs immobiliers et des bricoleurs.
Cela dit, il faut être bon joueur et avouer que le ministre des Finances, Eric Girard, n’avait pas la tâche facile : émettre des hypothèses et chiffrer un budget dans un contexte géopolitique aussi instable, où tout peut arriver et son contraire, de l’embellie à l’apocalypse, relevait d’un exercice à haut risque… de se tromper. L’avenir se dévoilera un peu le 2 avril, et dans les semaines suivantes.
En mettant de côté les turbulences commerciales avec les États-Unis — qui ne manqueront pas de nous nuire — on peut néanmoins apprécier le présent et le passé récent à travers les statistiques suivantes, révélées dans le budget : l’écart de richesse entre le Québec, l’Ontario et le reste du Canada se resserre. Le niveau de vie au Québec, comparé à celui de l’Ontario, est passé d’un écart de 15,9 % en 2018 à 11,2 % en 2024, et pourrait atteindre 9,9 % en 2026. Par rapport à l’ensemble du Canada, l’écart est passé de 20,2 % à 14,7 % entre 2018 et 2024, et pourrait se réduire à 13,7 % d’ici 2026.
Mais cela, c’était avant la guerre des tarifs et l’incertitude qu’elle fait planer sur les affaires et la consommation. L’imposition de droits de douane par les États-Unis augmentera les prix des produits québécois chez nos voisins, ce qui risque de freiner les ventes des entreprises et d’affecter leur trésorerie. Le gouvernement prévoit soutenir les entreprises touchées par ces tarifs.
À cet effet, 4,1 milliards de dollars sont mis en réserve pour offrir une aide transitoire, notamment pour soutenir les investissements, diversifier les marchés et favoriser la visibilité des produits québécois.
Le budget 2025-2026 prévoit aussi des aides financières sous forme de prêts totalisant 1,6 milliard de dollars, avec des crédits de 400 millions sur deux ans.
Revenu Québec mettra à profit sa marge de manœuvre pour appuyer les entreprises exportatrices, notamment en accélérant le traitement des demandes de crédits d’impôt, avec l’objectif de réduire de moitié les délais de traitement. L’agence adoptera également une approche flexible afin d’éviter d’aggraver les problèmes de liquidités.
Une enveloppe de 604,1 millions de dollars est consacrée à stimuler l’innovation, en renouvelant les mesures fiscales, en modernisant les services publics et en soutenant les PME à fort potentiel.
Un autre 759 millions de dollars vise à renforcer la contribution des régions à la création de richesse, en misant sur les minéraux stratégiques, le secteur forestier, le tourisme et le développement bioalimentaire.
Le gouvernement bonifie également son régime d’aide fiscale à l’innovation avec une enveloppe additionnelle de 2,6 milliards sur cinq ans.
Dans ce cadre, un nouveau crédit d’impôt pour la recherche, l’innovation et la commercialisation (CRIC) devient le pilier du régime. Il remplacera huit mesures fiscales existantes et visera à accroître la productivité et la compétitivité des entreprises québécoises.
Le CRIC, entièrement remboursable, appuiera les activités de R-D et de précommercialisation au Québec, incluant : les salaires et les équipements; 50 % des contrats avec des sous-traitants comme les universités, centres de recherche ou consortiums.
Plutôt que de différencier selon la taille de l’entreprise, le taux d’aide dépendra du volume des dépenses admissibles : 30 % pour le premier million de dollars au-delà d’un seuil d’exclusion; 20 % pour les dépenses additionnelles. Ce seuil correspondra au plus élevé de deux montants : la somme des montants personnels de base ajustés au temps consacré aux projets admissibles; 50 000 $.
Le nouveau régime fiscal, davantage harmonisé avec celui du gouvernement fédéral, représente un soutien additionnel de 271,5 millions de dollars sur cinq ans, visant à outiller les entreprises pour relever les défis économiques à venir.
Revenons à l’incertitude économique qui touche déjà les marchés et bientôt, la confiance des consommateurs et des PME. Le gouvernement compte sur la baisse progressive des taux directeurs pour alléger le coût des emprunts, et ainsi atténuer les impacts des tarifs douaniers.
Le ministre prévoit une croissance modeste de 1,1 % en 2025 et de 1,4 % en 2026. Certains l’accusent d’optimisme naïf. Le porte-parole de l’AQMAT, Richard Darveau, défend toutefois cette posture : « Quel avantage aurait eu le gouvernement à annoncer une récession ? Le politique a le devoir moral d’insuffler de la confiance pour éviter que la peur ne paralyse tout. »
Pour appuyer cette confiance, le gouvernement a annoncé une hausse des investissements en infrastructures de 11 milliards sur trois ans.
L’AQMAT se réjouit pour ses membres qui soumissionnent sur des projets comme des écoles, des centres de santé ou des logements sociaux.
Sur 10 ans, le Plan québécois des infrastructures (PQI) 2025-2035 atteint désormais 164 milliards de dollars, en hausse de 7 %.
Malgré une augmentation notable du PQI, il faut déplorer qu’aucune nouvelle somme ne semble spécifiquement dédiée dans ce Budget à soutenir les municipalités dans la modernisation de leurs infrastructures souterraines (égouts et aqueducs) pour permettre la réalisation de nouveaux projets immobiliers.
Pour diversifier les marchés, 195,8 millions sont prévus sur cinq ans pour : poursuivre la stratégie maritime; appuyer les projets d’exportation; soutenir le réseau des représentations à l’étranger.
Le commerce interprovincial, représentant 103 milliards $ et 18 % du PIB en 2023, demeure une priorité. Québec travaillera avec les autres provinces et le fédéral pour éliminer les obstacles internes.
Le document budgétaire prévoit notamment : de revoir certaines exceptions à l’ALEC; de maintenir sa participation à la Table de conciliation et de coopération; d’améliorer la mobilité de la main-d’œuvre en réduisant les délais d’accréditation (objectif : 30 jours); de soutenir l’expansion interprovinciale des entreprises via les Bureaux du Québec au Canada et Investissement Québec International.
L’AQMAT salue la reconnaissance de l’enjeu du camionnage comme facteur clé dans la fluidité des échanges interprovinciaux.
Le gouvernement continue d’encourager l’achat local avec un appui supplémentaire de 4,5 millions sur deux ans à l’organisme Les Produits du Québec.
Le soutien aux PME soulève néanmoins un certain paradoxe : bien que ces 277 500 entreprises soient désignées comme le socle du Québec Inc., les grands projets étrangers semblent parfois être les grands gagnants.
L’AQMAT insiste sur l’importance du repreneuriat. Elle salue donc l’annonce de 42,3 millions sur trois ans pour le Plan PME 2025-2028 visant à : accompagner l’innovation; renforcer la compétitivité; faciliter le repreneuriat; réduire la paperasse.
L’AQMAT entend aussi discuter avec le gouvernement à propos des mutuelles pilotées par des OSBL, notamment en matière de santé-sécurité au travail et d’assurances. « Nos membres attendent des économies d’échelle et du partage de connaissances », souligne Crystelle Cormier, cheffe de la direction de l’AQMAT.
Le programme DÉPART, lancé en 2023, vise à revitaliser les MRC les plus dévitalisées. Le budget prévoit 15 millions supplémentaires sur deux ans à partir de 2026-2027 pour accompagner les projets d’entreprises.