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Hier soir, sur les ondes de TVA/LCN, j’ai fait plusieurs mea culpa.
J’ai d’abord accusé les consommateurs de se découvrir un intérêt vertueux pour les produits québécois ou canadiens le temps d’une COVID, puis leur nature est revenue, celle qui consiste à acheter un prix, peu importe le reste.
J’ai cependant souligné qu’on a participé à cette infidélité en négligeant de former les employés des quincailleries et des centres de rénovation quant à l’origine des produits. Ce faisant – ou ce faisant pas, devrais-je dire – tout le poids de la compréhension chez le consommateur repose sur l’étiquetage qui est encore moins détaillé que sur les produits en épicerie.
Comment le client pourrait savoir alors que même le conseiller-vendeur en quincaillerie hésite à affirmer que tel matériau est fabriqué à Varennes, à Brampton ou au Wisconsin?
Si j’avais eu le temps, j’aurais rappelé cette expérience qu’on a mené il y a cinq ans : deux piles de contreplaqués, l’une d’origine canadienne sans COV et issue d’une forêt FSC, proposée 29,99 $ la feuille, l’autre chinoise, sans garantie structurelle, sans traçabilité environnementale, offerte à 19,99 $. Consommateur et « contracteurs » n’ont acheté que le moins cher des deux. Puis on a étiqueté les deux produits de manière détaillé et dès lors, la pile de produits canadiens a commencé à descendre à la même vitesse que sa concurrente chinoise. Et quand on a assigné une super conseillère-vendeuse devant les deux produits, les clients choisissaient très majoritairement le produit plus cher, mais meilleur et local.
Je dois parler d’un autre co-responsable, il est en amont du rapport consommateur-marchand celui-là, c’est l’acheteur dans les groupements. À ce stade aussi, le prix fait souvent loi, ainsi que le marketing de la marque, donnant un avantage aux entreprises transnationales, habituellement américaines. Dur alors de rivaliser pour un produit québécois ou canadien moins connu, au faible tirant communicationnel, et parfois offert au groupement à un prix plus élevé. S’ajoute aussi le facteur logistique : il est tellement plus facile pour un groupement de commercialiser et de distribuer une même marque dans tout son réseau pancanadien, voire nord-américain.
Pour réellement augmenter la portion de produits québécois et canadiens dans le panier de la quincaillerie, cela suppose du courage que je qualifierais de politique de la part tant des acheteurs des bannières, des marchands qui leur sont affiliés, de la clientèle des entrepreneurs en construction et en rénovation ainsi que de la part des autres acteurs de l’écosystème : architectes, designers d’intérieur, paysagistes, etc.
L’enjeu ne consiste pas seulement à s’en sortir durant la guerre commerciale qui s’installe; il s’agit d’une occasion de développer un tissus économique plus solidaire et plus souverain dans ce monde devenu plus instable sur le plan géopolitique.
On a un devoir d’éducation populaire afin de justifier pourquoi on soutient les créateurs d’ici. Il faut prendre le risque de jouer ce que les anglophones appellent la « long game », concept qui veut dire que les pertes court terme valent la peine lorsque le gain permanent est pris en compte. C’est d’ailleurs l’argument prôné par la voiture électrique : c’est plus cher à l’achat, mais plus économe dans la durée, tant pour le portefeuille que pour la planète.
Devenir promoteur des produits faits ici suppose que de la tête de l’entreprise au plancher des ventes, il y a engagement. Il y a critères. Il y a formation. Il y a communication.
Certaines familles d’épiciers ont agi ainsi, s’associant à des fermes locales, et ont obtenu des parts de marché. Des librairies font ainsi. Des boutiques de mode le font.
Il est opportun que les propriétaires des quincailleries et centres de rénovation se lèvent aussi et se comportent en citoyens solidaires des manufacturiers québécois et canadiens. À défaut, ils devront faire face à un pourcentage croissant de citoyens prompts au boycott américain, et éventuellement chinois.
Ironiquement notre secteur d’activités est celui où c’est le plus facile à faire. Alors que jamais on ne fera pousser d’oranges à jus, que fabriquer un t-shirt devient impossible, idem pour une automobile, un marchand qui en fait l’effort peut s’approvisionner en articles de quincaillerie et en matériaux de construction faits au Québec et au Canada pour construire et rénover une maison entière, de la cave au grenier.
Cliquez ici pour voir la liste des catégories de produits qu’on fabrique au pays où vous constaterez que les seuls vrais absents sont les outils électriques.
Lorsqu’on décide de se ranger du côté des manufacturiers d’ici, encore faut-il faire attention pour ne pas s’associer à n’importe qui : le phénomène du blanchiment ou de la stratégie d’image nous guette, où tout le monde peut se prétendre local.
L’AQMAT a été aux premières loges lors de la création de « Bien fait ici / Well Made Here », juste avant la COVID, un programme qui a le mérite de trier les produits et de s’actualiser grâce à la veille exercée entre pairs.
Je lance aussi une pierre aux manufacturiers eux-mêmes, tellement trop discrets. La grande majorité des 150 entreprises participant au programme se contente de payer la quote-part sans exploiter optimalement le logo sur les produits accrédités, leur site web et leurs publicités. Ils n’informent pas adéquatement leurs représentants qui se présentent trop souvent dans les magasins ou dans les salons d’achat des bannières sans être au courant des produits de leur entreprise qui satisfont les normes de « Bien fait ici ».
En conclusion, comment en vouloir au grand public quand le conseiller-vendeur en magasin, le marchandisage sur les lieux, le marchand-propriétaire, le distributeur, la bannière et le manufacturier ne se commettent pas, ne se tiennent pas les uns et les autres?
Je termine en vous partageant une requête que j’ai adressée hier au Premier Ministre du Canada et à ses ministres à vocation économique, ce en qualité de PDG du programme « Bien fait ici ». Mes attentes envers le gouvernement sont élevées. Et si les vôtres le sont aussi, écrivez-leur aussi!