La démission silencieuse et la disparition soudaine des employés

En ce jour 3 de la « La Quincaillerie en Tête et en Fête », semaine thématique consacrée à la promotion des carrières dans nos commerces et usines, on se penche, avec les experts de notre équipe Capital RH, sur un nouveau phénomène inquiétant que les anglophones ont nommé le « Quiet Quitting ».

L’AQMAT ose aborder un sujet tabou : la démission silencieuse, ce phénomène où les employés se désengagent progressivement de leur travail sans quitter officiellement leur poste. Nous discuterons également de disparition soudaine, une pratique qui semble de plus en plus répandue, alors que les employés, souvent nouvellement embauchés, ne se présentent pas au travail un matin, et ce, sans vraiment donner de raison.

Pour faire le point sur les causes qui sous-tendent ces phénomènes et identifier des pistes de solution et les meilleures pratiques à mettre de l’avant pour stimuler ses effectifs sans vider son portefeuille, nous avons discuté avec trois spécialistes en gestion des ressources humaines, partenaires de l’AQMAT : Kareen Joseph, Jessica Joyal et Susie St-Onge.

Un phénomène de plus en plus répandu

Le phénomène de démission silencieuse touche pratiquement tous les secteurs économiques et tous les niveaux d’emplois : des postes d’entrée de gamme offerts dans les commerces de détail jusqu’aux gestionnaires d’usine.

Le Globe and Mail rapporte en 2023 que deux Canadiens sur trois auraient démissionné silencieusement.

Un sondage de la firme Gallup, réalisé en 2022 aux États-Unis, conclut que 50 % des salariés à temps plein ou à temps partiel de plus de 18 ans seraient des démissionnaires silencieux.

L’enquête révèle également que ce déclin global de l’engagement des travailleurs est lié à la clarté des attentes, aux opportunités d’apprentissage et de croissance, au sentiment d’être pris en compte et en lien avec la mission de l’organisation. Bref, le phénomène illustre une déconnexion croissante entre les employés et leurs employeurs… avec un coût élevé pour les entreprises.

En effet, selon un article de la revue Forbes, publié en 2022, le phénomène aux États-Unis aurait couté aux entreprises jusqu’à 150 milliards de dollars par an selon certaines estimations, plus que l’absentéisme.

Quant à la disparition soudaine, « on voit ça de plus en plus tout au long des processus de recrutement : des gens qui ne se présentent pas au rendez-vous et qui ne préviennent pas non plus, confirme Kareen Joseph. De plus, il est fréquent qu’une personne nouvellement embauchée continue de magasiner avec l’objectif de dénicher un emploi encore plus intéressant que celui qu’elle vient d’accepter ; et si c’est le cas, elle ne prendra pas la peine de prévenir l’employeur qui l’avait embauché. »

À la tête de RH Solutions KJT, Kareen Joseph guide les entrepreneurs vers les bonnes solutions en matière de gestion des ressources humaines. Son équipe se spécialise dans la recherche de modèles et d’outils de gestion capables de dépanner les membres de l’AQMAT.

 
Conflit entre générations et bris du contrat social

La démission silencieuse et la disparition soudaine sont, selon les spécialistes, le reflet d’un conflit générationnel et la preuve d’une rupture du contrat social qui prévaut tacitement depuis des décennies.

Certains situent l’apparition de la démission silencieuse dans les années 1990, alors que les grandes entreprises priorisant la maximisation de l’avoir des actionnaires provoquaient des vagues de mises à pied. Les employés auraient alors compris que face à la non-loyauté des employeurs, ils avaient toujours le loisir d’être minimalement engagés envers l’organisation.

On souligne également que les notions de travail et de salaire n’ont pas la même importance pour les travailleurs d’aujourd’hui issus des générations Z et Y.

« Autrefois, le travail permettait de garantir un salaire et le fait d’y être heureux était secondaire, rappelle Susie St-Onge. L’entente tacite était : tu me paies, je me réalise dans mon travail et en contrepartie, je m’engage à être présent pour effectuer mes tâches. Aujourd’hui, beaucoup de gens arrivent sur le marché du travail avec la perception que leur emploi doit les rendre heureux et ça c’est une grosse nuance parce que l’employeur n’a pas ce pouvoir-là. »

 « Des gens arrivent sur le marché du travail avec la perception que leur emploi doit les rendre heureux » – Suzie St-Onge

On constate aussi que les plus jeunes — 20 à 35 ans — voient leur patron idéal comme un coach de vie ; quelqu’un qui va les guider dans leur cheminement professionnel, mais aussi dans leur cheminement émotionnel.

« Mais la réalité c’est que nos entreprises, nos gestionnaires ne sont pas formés pour ça et ils n’ont jamais été exposés à ce type de coaching, poursuit Susie St-Onge. C’est ce décalage entre les attentes de l’employé et la capacité du gestionnaire qui détruit le contrat social émotionnel sous-jacent entre employé et employeur. »

 

Susie St-Onge est présidente de la firme Ephemax spécialisée en gestion pour la rétention d’employés. Également partenaire de l’Équipe Capital RH de l’AQMAT, elle agit comme consultante pour l’amélioration des fonctionnements opérationnels en entreprise.  

 
Une crise et une occasion de se démarquer de la concurrence

 

Clairement, les employeurs font face à une crise. Mais l’occasion est belle pour les patrons de prendre le temps de se questionner et d’identifier les ajustements possibles dans les lieux de travail pour s’harmoniser avec les jeunes générations. D’autant plus que la pénurie de main-d’œuvre risque de sévir pendant encore une décennie, au moins.

« Les notions de loyauté et de fidélité à l’employeur, ça n’existe plus du tout ; les plus jeunes sont beaucoup plus axés sur leur bien-être, leurs besoins, leur équilibre de vie, explique Kareen Joseph. Ils ne cherchent pas un contrat à vie pour eux avec un employeur parce que leur vie personnelle prend la priorité sur leur vie professionnelle. »

Selon Jessica Joyal, le salaire et les avantages sociaux offerts dans les postes d’entrée de gamme contribueraient à un « genre de je-m’en-foutisme » généralisé. Les jeunes travailleurs qui travaillent au salaire minimum ou presque se sentent un peu en situation d’esclavage et ne sont donc pas prêts à réfléchir en termes de loyauté et de sentiment d’appartenance. »

« Le salaire et les avantages sociaux offerts dans les postes d’entrée de gamme contribueraient à un « genre de je-m’en-foutisme » généralisé » – Jessical Joyal

Pourtant, la rémunération ne serait pas un atout suffisant pour attirer et retenir ces travailleurs.

Voici le raisonnement d’un démissionnaire silencieux, selon Susie St-Onge : « Oui, j’ai un salaire satisfaisant et de bons avantages sociaux, mais je ne suis pas mobilisé, ni impliqué et ce n’est pas le job que j’attendais et en plus je ne me sens pas bien encadrée par le gestionnaire et je ne me sens pas respecté, donc je reste, mais je me désengage. »

Reconnaitre un démissionnaire silencieux en entrevue

« On embauche pour les compétences, mais c’est presque toujours à cause de l’attitude qu’on congédie », rappelle Jessica Joyal.

L’attitude et le type de personnalité d’un candidat peuvent être caractérisés par des tests psychométriques. Il est aussi possible de reconnaître un démissionnaire silencieux potentiel lors d’une simple entrevue d’embauche à condition de poser les bonnes questions et surtout d’écouter attentivement les réponses, précise l’experte.

« L’objectif est de lever le voile sur la personnalité du candidat et de prendre le pouls de son savoir-être plutôt que de son savoir-faire. Pour découvrir ce qui motive la personne, demandez qu’elle vous parle de ses valeurs de vie, de son rapport à la ponctualité, à l’effort ainsi qu’à l’argent. Informez-vous de ses attentes quant au milieu de travail et à ses supérieurs immédiats. »

Finalement, demandez des références.

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, les entreprises dépendent plus que jamais du marché de l’emploi. Et sur le marché de l’emploi, ce sont les jeunes qui sont en position de force.

D’ailleurs, les experts sont unanimes : il revient aux employeurs de se démarquer pour répondre aux besoins des jeunes générations. Et une façon de se démarquer c’est de faire preuve de souplesse et d’ouverture… ce qui ne coute pas cher.

« Mais il faut se réveiller tout de suite parce que le risque est très élevé pour la survie et la pérennité des entreprises, avertit Kareen Joseph. Les patrons se doivent d’accepter et de comprendre ce phénomène-là sinon ils risquent de se retrouver sans employés, c’est aussi simple que ça dans le contexte actuel. »

« Les patrons se doivent d’accepter, sinon, ils risquent de se retrouver sans employés » – Kareen Joseph

Embaucher à l’international

L’AQMAT offre la possibilité à ses membres de recruter des immigrants francophones, triés sur le volet, grâce à un partenariat avec Joyal Chasseurs de Têtes.

Comme le rappelle Statistique Canada, « l’immigration joue un rôle déterminant dans l’offre de main-d’œuvre au Canada depuis de nombreuses années. Au cours des années 2010, plus des quatre cinquièmes de la croissance de la population active du Canada provenaient de l’immigration. » 

« Le recrutement international peut aider à dénicher des travailleurs loyaux » soutient Jessica Joyal. Quelqu’un qui quitte son pays, sa famille, à l’autre bout du monde, qui fuit les guerres et l’instabilité socio-économique et qui vient ici travailler grâce à un permis d’au moins trois ans, n’aura pas la même attitude face au travail. »

 

Fondatrice de Joyal Chasseur de têtes, Jessica Joyal est reconnue pour son savoir-faire et son talent pour dénicher les oiseaux rares recherchés par les PME de toutes tailles. Elle fait partie de Capital RH, l’équipe d’expertes en ressources humaines de l’AQMAT, en plus d’être aussi partenaire de notre association en recrutement outremer.

Soulignons que les travailleurs étrangers temporaires et les étudiants étrangers sont de plus en plus nombreux à obtenir la résidence permanente, devenant ainsi des actifs permanents de main-d’œuvre.

Pistes de solution pour les employeurs

Devant la démission silencieuse des employés, un employeur a deux choix : fonctionner de l’ancienne façon et déplorer le manque de loyauté, de respect et de courtoisie ou s’ajuster aux besoins de bonheur et d’autonomie des jeunes travailleurs.

Une chose est sûre, rappellent les expertes, si on continue à fonctionner de la même façon, les résultats obtenus ne seront pas différents.

« Les jeunes générations de travailleurs, c’est un peu comme un nouvel outil qui vient d’arriver sur le marché : il est dispendieux, mais vous en avez vraiment besoin. Et avant de l’utiliser vous devez apprendre comment il fonctionne », affirme Susie St-Onge. Voici ses recommandations :

Accepter le fait que les jeunes générations de travailleurs pensent et agissent différemment des autres générations. Le capitalisme pur et dur est en train d’imploser parce que le coût est trop élevé pour la planète ; c’est avec ce constat en tête que les jeunes arrivent sur le marché du travail;

Comprendre le phénomène de la démission silencieuse comme étant le symptôme d’un conflit générationnel, d’un bris en matière de contrat social ;

Développer ses capacités d’intelligence relationnelle, émotive ;

S’adapter, élaborer des solutions créatives permettant de réduire le choc culturel en entreprise et faire preuve de souplesse pour attirer et retenir ces personnes en emploi. Par exemple : s’associer à des œuvres caritatives ou des projets environnementaux ; vendre des gammes produites plus vertes, plus respectueuses de l’environnement.

Les meilleures pratiques

C’est grâce à la mise en place des meilleures pratiques de gestion des ressources humaines qu’un employeur peut stimuler l’engagement de son personnel et retenir ses employés. Voici les principales propositions de nos expertes :

  • Favoriser une communication ouverte et transparente. Prendre le temps d’expliquer ce qui se passe dans l’entreprise et la façon dont les employés peuvent contribuer à la résolution de problèmes et améliorer les choses ;
  • Miser sur la reconnaissance et la récompense pour souligner un travail bien fait; prendre le temps de dire merci lorsqu’un problème est résolu;
  • Offrir des conditions de travail flexibles, les gens recherchent l’équilibre ; ils ne vivent plus pour travailler, ils travaillent pour vivre;
  • Démontrer qu’il y a la possibilité d’évoluer dans l’entreprise, que les promotions sont possibles. Ce sont surtout les employés qui commencent dans les postes de base qui ont besoin de voir ces possibilités;
  • Organiser des activités plaisantes et récurrentes : 5 à 7, sports d’équipe, etc. Offrir des rabais sur des produits ou des services appréciés des employés ; organiser des tirages.

Une stratégie d’accompagnement éprouvée

Kareen Joseph et son équipe ont développé une stratégie pour stimuler le dialogue, aider la compréhension et instaurer la coopération entre les employeurs et les employés.

« Notre stratégie est éprouvée et elle fonctionne très bien ; on oblige les employeurs et les employés à prendre le temps de se parler et à s’ajuster au besoin. Dans un premier temps, nous rencontrons les employés dans le but d’identifier avec eux ce qui fonctionne et ce qui va moins bien dans leur milieu de travail. Après un tel exercice, nous sommes en mesure d’alimenter notre client, le patron, et de mettre en lumière ce qui va bien et ce qui va moins bien dans l’entreprise et discuter des façons de faire pour répondre aux besoins des gens. »

L’étape suivante est de rassembler tout le monde et de les faire participer au diagnostic, c’est-à-dire de s’entendre sur les enjeux et d’identifier des solutions à mettre en œuvre pour valoriser le travail d’équipe.

« Il y a toujours beaucoup d’éducation à faire, mais ce genre d’intervention fonctionne parce que les jeunes se sentent impliqués, ils se sentent écoutés et justement parce qu’ils ont été appelés à collaborer sur ce projet, ils ont l’impression qu’ils peuvent faire une différence dans l’entreprise. » Fin encadré

Cliquer ici pour entendre le balado (podcast) qui a lancé cette 4e édition de la semaine thématique. L’équipe de gestion de RONA Forget à Tremblant partage généreusement sa recette RH.

Cliquer ici pour prendre connaissance des premiers résultats de sondage divulgués hier par l’AQMAT. On y apprend entre autres quels sont les enjeux et les besoins prioritaires des membres en matière de ressources humaines, de relève et de croissance.

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