Ottawa a compris l’acuité de la crise en habitation

L’essentiel de la mise à jour économique livrée hier après-midi par la vice-première ministre du Canada en qualité de ministre des Finances peut se résumer en trois mots : logement, logement, logement.

Et on en est satisfait.

L’un de mes profs disait que les chiffres devraient être comme les lampadaires de rue : servir à nous éclairer. Mais on peut aussi s’appuyer sur un lampadaire simplement pour donner l’éclairage qui fait son affaire. L’insistance de Mme Chrystia Freeland de positionner le Canada comme premier de classe par rapport aux autres pays du G7 ou de l’OCDE peut facilement être critiqué en choisissant d’autres années de référence, d’autres critères, etc.

Mais une fois sa trop longue entrée en matière, la ministre a procédé à des annonces signifiantes pour notre univers, l’industrie de la construction, et en particulier celui du secteur résidentiel actuellement au point mort.

« Construire les logements dont le Canada a besoin nécessitera un grand effort national — et c’est un effort que le gouvernement fédéral mène, en réunissant les gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux, en partenariat avec les constructeurs de maisons, les financiers, les fournisseurs de logements communautaires, les établissements postsecondaires, et les organisations et gouvernements autochtones, pour relever ce grand défi générationnel. »

On ne peut que souscrire à un tel appel à toutes les forces vives. Voilà un leadership sous lequel l’AQMAT adhère et entend jouer un rôle actif.

Dix nouvelles mesures

Dans cet Énoncé automnal, le gouvernement fédéral introduit dix nouvelles mesures pour inciter la construction de nouveaux logements locatifs, protéger les locataires et les propriétaires, et faciliter l’accès des citoyens à leur propriété actuelle.

  1. Construire plus de Logements, plus rapidement plus de financement pour la construction d’appartements

L’offre de logements locatifs au Canada doit suivre le rythme de nos communautés en croissance et être cohérent avec d’éventuels rehaussements du plafond de l’immigration. Pour y parvenir, les constructeurs ont besoin d’un accès au financement à faible coût qui rend possible la construction de plus de logements et plus rapidement.

Il a été annoncé 15 milliards de dollars supplémentaires en nouveaux financements de prêt, disponibles à partir de 2025-26 via le Programme de prêt pour la construction d’appartements, anciennement connu sous le nom d’Initiative de financement de la construction locative. Ceci porte à plus de 40 milliards de dollars en financements de prêt. Cet investissement devrait soutenir la construction de plus de 30 000 nouveaux logements supplémentaires à travers le Canada, portant la contribution totale du programme à plus de 101 000 nouveaux logements d’ici 2031-32, selon les estimés de la ministre.

L’AQMAT, comme tous les autres observateurs, exprime un bémol important par rapport à cette annonce : pourquoi donc ne pas rendre cette enveloppe accessible dès 2024? La justification d’un tel report n’avait pas été donnée par le gouvernement Trudeau au moment d’écrire ces lignes.

 

  1. Construire plus de logements abordables

Le logement abordable et sa cousine, l’habitation communautaire, jouent un rôle critique en offrant aux citoyens les plus vulnérables un endroit où vivre. Or, il a été annoncé un milliard de dollars supplémentaires au Fonds pour le logement abordable sur trois ans, disponible à partir de 2025-26. Cet investissement soutiendra les fournisseurs de logements sans but lucratif, coopératifs et publics pour construire plus de 7 000 nouveaux logements d’ici 2028.

Encore ici : pourquoi ne pas attaquer la crise dès maintenant en rendant ces fonds disponibles à partir du premier janvier qui vient ou au pire, à partir du budget 2024 qui commence le 1er avril?

 

  1. Suppression de la TPS sur les nouveaux logements locatifs coopératifs

On connaissait déjà cette mesure révélée il y a quelques semaines, mais on est heureux qu’elle soit officialisée dans la Déclaration officielle d’hier. L’offre de logements locatifs devant augmenter, le gouvernement fédéral supprime temporairement la Taxe sur les Produits et Services (TPS) des nouveaux projets de logements locatifs construits à dessein, tels que les immeubles d’appartements, les logements étudiants et les résidences pour personnes âgées, ceci pour un temps indéterminé, comme l’étaient certaines mesures ponctuelles durant la COVID-19.

Notre commentaire : quand le premier ministre Legault va-t-il emboîter le pas en donnant à pareils projets un congé de TVQ?

 

  1. Renforcement du Programme de développement du logement coopératif

Depuis des générations, les coopératives offrent du logement alternatif et en fait, un mode de vie en société alternatif, généralement plus abordable. La ministre a annoncé un investissement de 309,3 millions de dollars supplémentaires à l’enveloppe prévue au Budget 2022. En collaboration avec la Fédération de l’habitation coopérative du Canada et d’autres partenaires de logement coopératif, la SCHL travaille pour lancer le programme co-développé au début de 2024.

Le Québec étant en château-fort mondial du monde coopératif, l’AQMAT place un grand espoir dans ce programme.

 

  1. Réaffectation de plus de terres fédérales pour le logement

La ministre a rappelé avec à-propos que le gouvernement du Canada possède et gère le plus grand portefeuille immobilier au Canada — et certaines de ces terres peuvent être utilisées pour construire plus de logements. Grâce à la Société immobilière du Canada — une société d’État qui a soutenu la construction de plus de 10 300 nouveaux logements depuis 2016 — plus de 29 000 nouveaux logements devraient être construits sur des terres fédérales excédentaires d’ici 2029.

À ce propos, soulignons qu’au cours des récentes semaines, déjà six propriétés fédérales excédentaires ont été annoncées comme objets de développement de plus de 2 800 nouveaux logements dans les villes d’Edmonton, de Calgary, de St. John’s et d’Ottawa.

L’AQMAT pose ouvertement la question : à quand un projet semblable en territoire québécois?

 

  1. Accélérer la construction de logements par les communautés

En mars 2023, le gouvernement a lancé le Fonds d’accélération du logement de 4 milliards de dollars pour aider à réduire les formalités administratives et accélérer la création d’au moins 100 000 nouveaux logements à travers le Canada. Le Fonds d’accélération du logement donne déjà des résultats — et selon sa trajectoire actuelle, il devrait dépasser les 100 000 nouveaux logements, affirme la ministre.

Avec des accords déjà annoncés avec neuf villes — Londres, Vaughan, Hamilton, Brampton, Kitchener, Halifax, Kelowna, Calgary et Moncton — ce Fonds a accéléré la construction de plus de 21 000 logements supplémentaires dans ces villes.

Il faut espérer que l’accord Québec-Ottawa finalement signé le 9 novembre dernier, spécifiant une contribution conjointe de 1,8 milliard de dollars, servira à faire démarrer au plus vite des projets de logement abordable dans des villes du Québec.

 

  1. Plus de travailleurs de la construction pour construire plus de logements

Abattre les barrières à la mobilité interne de la main-d’œuvre en construction est essentiel; les entrepreneurs et leurs ouvriers doivent pouvoir se déplacer entre les provinces pour construire les logements dont les citoyens ont besoin. Trop de personnes sont actuellement freinées par des obstacles à la mobilité interprovinciale de la main-d’œuvre.

L’Énoncé économique de l’automne 2023 annonce que, dans les prochains mois, le gouvernement fédéral poursuivra la prochaine phase de son travail pour supprimer les obstacles à la mobilité interne de la main-d’œuvre, notamment en utilisant les transferts fédéraux et d’autres financements, pour encourager les provinces et les territoires à réduire la bureaucratie qui entrave la circulation des travailleurs, notamment dans la construction.

Ici, on peut douter que le gouvernement du Québec voudra valser avec son grand-frère fédéral, préférant une position défensive du genre : mêle-toi de tes affaires. Il demeure que l’intention est louable, elle va dans le même sens que les travaux qui s’amorcent par le ministre Jean Boulet au Québec au niveau de R20, cette fameuse loi sur les relations de travail dans l’industrie de la construction. L’AQMAT dit aux politiciens : mettez de côté les drapeaux et œuvrez avec l’intérêt commun en tête.

 

  1. Prioriser les travailleurs de la construction pour la résidence permanente

Pour répondre aux besoins de construction de logements de notre pays, le gouvernement fédéral a lancé en mai 2023 un nouveau processus de sélection dans le cadre du système d’immigration Entrée express pour prioriser les demandeurs de résidence permanente avec des compétences spécifiques, de l’expérience professionnelle, de l’éducation ou des certifications, y compris dans le secteur de la construction. Les candidats expérimentés en menuiserie, électricité, soudage, plomberie et autres métiers qui peuvent aider à construire plus de logements, plus rapidement seront priorités, aux dires de la ministre.

Oui, oui, oui, la voie rapide vers la résidence permanente doit faire partie du coffre à outils en cette ère où la rareté de main-d’œuvre nous ralentit alors que des milliers de gens qualifiés dans différents pays cherchent à travailler.

 

  1. Sévir contre les locations de courte durée non conformes

Le gouvernement fédéral prend des mesures pour sévir contre les locations de courte durée de type AirBnB qui réduisent l’offre de logements. Certaines provinces, dont le Québec et la Colombie-Britannique, et des municipalités, telles que Toronto, Montréal et Vancouver, ont déjà pris des mesures pour limiter l’utilisation de propriétés résidentielles comme locations de courte durée dédiées, et le gouvernement fédéral prend des mesures pour soutenir leur travail.

L’Énoncé économique d’hier précise que le gouvernement fédéral a l’intention de refuser les déductions fiscales pour les dépenses engagées pour gagner des revenus de location à court terme, y compris les dépenses d’intérêts, dans les provinces et municipalités qui ont interdit les locations de courte durée.

Mieux encore, 50 millions de dollars sur trois ans, à partir de 2024-25, serviront à soutenir l’application municipale des restrictions sur les locations de courte durée. Cela soutiendra les municipalités ayant des régimes réglementaires stricts qui ont un impact significatif et mesurable pour ramener les locations de courte durée sur le marché du logement à long terme. Pour mieux comprendre le paysage des locations de courte durée au Canada et éclairer la future politique du logement, le gouvernement fédéral explorera des options pour collecter des données sur les locations de courte durée.

Commentaire : Il est vrai que la Constitution canadienne restreint le statut des municipalités au rang de créatures des provinces, d’où une protection jalouse du gouvernement du Québec à ne pas laisser le fédéral traiter trop directement avec les villes. La question est de savoir : pourquoi le gouvernement Trudeau n’a-t-il pas amené une telle proposition à la table du Conseil de la Fédération plutôt que de procéder à une annonce unilatérale qui, forcément, choque monsieur Legault et consorts?

 

  1. Une nouvelle Charte canadienne des hypothèques

Les taux d’intérêt élevés laissent trop de personnes préoccupées par l’augmentation de leurs paiements hypothécaires.

Dans l’Énoncé économique, il est prévu qu’une nouvelle Charte canadienne des hypothèques obligera les institutions financières à travailler avec les propriétaires résidentiels qui en arrachent afin de fournir un soulagement adapté et s’assurer que les paiements soient raisonnables pour les emprunteurs.

Plus concrètement, on peut s’attendre à :

  • des prolongations temporaires de la période d’amortissement pour les détenteurs d’hypothèques à risque ;
  • au renoncement de frais qui auraient autrement été facturés pour les mesures de soulagement ;
  • de ne pas exiger que les détenteurs d’hypothèques assurés se requalifient sous le taux de qualification minimum assuré lors du changement de prêteurs lors du renouvellement de l’hypothèque ;
  • un contact avec les propriétaires quatre à six mois à l’avance de leur renouvellement d’hypothèque pour les informer de leurs options de renouvellement ;
  • à l’option pour les propriétaires à risque de faire des paiements forfaitaires pour éviter un amortissement négatif ou de vendre leur résidence principale sans pénalités de remboursement anticipé ;
  • ne pas facturer d’intérêt sur intérêt dans le cas où les mesures de soulagement hypothécaire entraînent une période temporaire d’amortissement négatif.

Commentaire de l’AQMAT : il faudra exercer une surveillance serrée de la mise en œuvre de ces beaux principes par les institutions financières et la mise en place d’un ombudsman pour gérer les éventuelles plaintes de propriétaires en risque de perdre leur maison.

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