Approvisionnements à sécuriser : opportunité pour le Québec d’utiliser sa position de force en ressources naturelles

Mutualisation de nos besoins en bois, circuits courts d’approvisionnement, économie solidaire, nationalisme économique, relocalisation au Québec de la fabrication d’ingrédients clés pour soutenir notre écosystème de la construction, on se croirait presque dans une réunion de la gauche socialiste ou d’un mouvement pour la souveraineté. Ce n’était pourtant que des gens d’affaires qui ont sorti de telles expressions, une quarantaine, réunis virtuellement le 21 avril dernier sur le thème suivant : « Les moyens de réduire les fluctuations des prix et les ruptures de stock des matériaux ».

Pour connaître les thèmes abordés en 2021 et vous inscrire cliquez ici

L’activité virtuelle, présentée par le Collège AQMAT avec le soutien de la Commission des partenaires du marché du travail, première en 2021 de la série de webinaires intitulée « La nouvelle réalité des quincailleries », était animée par Richard Darveau, président et chef de la direction de l’AQMAT. Un bouquet varié de dirigeants de scieries, de quincailliers, de représentants de bannières et de manufacturiers y ont participé avec sérieux et intérêt.

Note importante : pour que chacun parle librement, il a été convenu que les propos attribuables à l’un ou l’autre des intervenants vont demeurer anonymes dans cet article.

« Envoyer du bois de la vallée de la Matapédia jusqu’en Alabama ne fait pas de sens si on compare cela avec l’option tellement plus facile d’approvisionner les besoins du village voisin. »

La table était mise. Partageons d’autres savoureuses et parlantes observations entendues :

« Le Québec a une position de force en termes de matières premières. On a des forêts incroyables qui font l’envie du monde. Même chose pour notre sous-sol et l’industrie minière… Il faut que nous, comme marchands, on puisse capter tout ça avant de l’exporter. » 

« Oui au libre-échange, mais on voit Buy Américan, eux ne se gênent pas. Pourquoi? Parce qu’aucune règle du commerce international n’interdit d’encourager l’achat de produits québécois auprès des Québécois. »

« Il y a eu de beaux énoncés faits par le gouvernement depuis Le Panier Bleu. Mais on dirait que les bottines ne suivent pas les babines. »

Bref, les participants réagissent à ce trop-plein d’incertitudes qui minent la chaîne d’approvisionnement en bois et en d’autres matériaux. Personne ne sait plus quand ni quelle quantité acheter, et on se demande si les clients seront encore au rendez-vous une fois la pandémie maîtrisée.

Le webinaire a permis à l’AQMAT et ses membres, peut-être avec les gouvernements, du moins avec d’autres associations partenaires, d’explorer des pistes d’intervention dans le but avoué de regagner un certain contrôle sur les prix et les délais.

La démarche qui s’amorce a été résumée en ces termes par Richard Darveau : « L’objectif ultime consiste à se sortir d’un état de crise exténuant pour se redonner des conditions d’affaires plus sereines et par conséquent, plus porteuses à long terme ».

Quel rôle, si rôle il y a, l’État devrait jouer pour sécuriser nos approvisionnements clés?

Les participants ont d’abord déploré qu’il n’y ait plus aucune fabrication de polymères ni de monomères dans le Nord-est américain. Or, une grande partie des matériaux résidentiels dépend de ces intrants chimiques, dont les adhésifs et les scellants, utilisés dans pratiquement tout ce qui confectionnera une maison.

Quant aux prix, pour nombre de commodités comme le bois, ils fluctuent au jour le jour. Comme l’essence. Par exemple, l’acétone a augmenté de 50 % entre décembre et avril. Ceci nuit à la fixation de contrats à long terme et à prix fixe. Voilà le genre de composants stratégiques qui nous rend vulnérables quand, par exemple, le Texas et la Louisiane sont frappés par une vague de froid.

Le cas du titane a aussi été évoqué. L’un des participants a mentionné qu’autrefois, on extrayait cet élément chimique aux fins de l’incorporer à la peinture et lui conférer des propriétés mécaniques de qualité, notamment sur le plan de la résistance. Nous n’avons apparemment pas su protéger nos usines en ce domaine avec comme conséquence que les marques connues de peinture doivent importer le titane pour offrir aux consommateurs des enduits de qualité.

L’État ne peut tirer dans tous les sens et tous conviennent que le Québec ne peut viser l’autarcie. Mais du même souffle, il semble y avoir une volonté pour les acteurs de l’écosystème de la construction de vouloir identifier des ingrédients névralgiques et d’encourager leur fabrication au Québec ou dans les alentours.

À noter que la question de la dépendance de notre industrie sera également abordée lors du séminaire à l’horaire le 20 octobre prochain. La nécessaire révision des relations entre les bannières et leurs fournisseurs sera alors abordée, phénomène qui bouscule d’ailleurs en ce moment même dans le secteur alimentaire.

Un exemple de la quasi-disparition du secteur pétrochimique local, le géant Celanese a longtemps produit des polymères, dont le formaldéhyde, ici, à Boucherville. Mais a fermé son usine en 2004. Et trois ans plus tard, fermait aussi son usine d’acétate en Ontario.

À quelles conditions peut-on arriver à établir une relation de confiance entre les scieries et les centres de rénovation?

« Pendant quinze ans, il y a eu, en général, trop de bois sur le marché par rapport à la demande. Les détaillants et leurs groupements se sont habitués à nous appeler à la dernière minute pour nous dire : « Ça me prend une van de bois dans trois jours. Parce que dans cinq jours, c’était jugé comme trop long. Là, arrive une surdemande, mais plusieurs acheteurs ont encore cette manie de demander du bois à la dernière minute. »

Pour illustrer l’ampleur de la demande, de 2009 à 2012, aux États-Unis, on construisait en moyenne moins de 500 000 maisons unifamiliales par année alors qu’aujourd’hui, la cadence est de l’ordre de 1,8 million d’unifamiliales par année. Et cette demande va aller en s’accroissant en raison de la relance économique post-COVID-19 que les États, tous paliers confondus, veulent stimuler.

En sous-question, un participant a demandé si on pouvait augmenter l’offre avec plus de droits de coupe du bois. Il faut savoir que les forêts publiques sont exploitées à 95 %, donc la marge de croissance est mince si on tient à ne pas entamer le capital forestier. Il y a cependant du développement de marché possible du côté des quelque 130 000 propriétaires de forêts privés dont à peine le quart d’entre eux participent à l’économie des matériaux, la plupart se contentant de fournir du bois de chauffage.

L’un des participants se dit convaincu qu’on peut faire des coupes protégeant la biodiversité et les propriétés privées. Il y aurait donc aussi de l’éducation à faire du côté des propriétaires de forêts privés qui ont le préjugé de croire que leurs terres seront envahies par de la grosse machinerie qui vont tout raser sans organisation ni respect.

Richard Darveau a informé le groupe qu’une conversation s’amorce entre l’AQMAT et la Fédération des producteurs forestiers du Québec pour explorer des avenues de collaboration.

« Notre scierie a des contrats négociés à long terme avec certains marchands, dont les prix sont basés sur des publications reconnues, avec des volumes engagés. Et mensuels. Ces détaillants vont sécuriser ainsi une partie de leur approvisionnement, le tout basé sur un prix qui va fluctuer dans le temps. »

« Les centres de rénovation et les acheteurs dans les groupements doivent apprendre à ne plus acheter que dans les creux de la vague, car ceci fait qu’ils ne voudront pas s’engager dans le long terme. Ils ont un comportement opportuniste qui peut les servir ponctuellement, mais qui est nuisible à l’instauration de relations d’affaires stables. »

« C’est donc beaucoup une question de culture de la part des acheteurs des bannières, des marchands directs aussi sont fautifs. »

« Comme scierie, on ne peut pas faire autrement que diversifier nos marchés. Les clients ont des besoins différents selon le mois de l’année, la géographie. D’ailleurs, certaines années, on a écoulé des stocks non seulement aux États-Unis, mais aussi loin qu’en Arabie Saoudite! »

« Le bois a toujours été une commodité, donc les prix sont « up and down », selon une conjoncture non seulement continentale, mais même internationale. »

« Une scierie ne peut pas attendre que le téléphone sonne et cumuler de l’inventaire. Par exemple, si on part une production de 2×4, l’objectif est que ces pièces restent dans la cour le moins longtemps possible. Pour y parvenir, on mise sur des contrats à long terme, déjà réservés avec des clients loyaux. »

Le cost-plus peut-il exister au lieu d’être à la merci d’un marché quasi boursier? À cette question, l’un des participants a répondu que l’offre et la demande ont toujours prévalu; à moins de mettre sur pied un système de gestion comme pour les œufs, la volaille et les produits laitiers, on demeurera tributaires du marché.

Des clauses d’indexation ont toutefois dû s’ajouter aux contrats entre entrepreneurs en construction et clients. C’est impopulaire, mais les « contracteurs » n’ont pas d’autres choix que de se protéger.

« La demande n’est pas conjoncturelle, on sera sous pression pendant des années. »

Il y a des solutions qui relèvent de l’industrie elle-même, devenir de meilleurs acheteurs pour espérer pouvoir compter sur nos fournisseurs, par exemple. Mais il faut aussi regarder en direction du gouvernement pour lui demander un coup de pouce.

Une récente enquête conduite par l’AQMAT indiquait que huit quincailliers sur dix souhaitent une intervention de l’État. Relire ici notre article à ce sujet.

Plusieurs intervenants ont dénoncé le manque de valorisation du bois. Les exigences des gouvernements sont perçues trop minimales ou plutôt inadéquates, plus dictées par les impératifs de l’exportation que pour épouser les besoins de l’industrie d’ici en matériaux transformés.

« Pour soutenir la relance qui s’amorce, faudra compter sur des forestiers plus solidaires de nous et du gouvernement. »

« Moi, je me sens divisés. Chacun s’accuse d’être plus millionnaire que l’autre. On gagnerait mieux en travaillant ensemble. »

L’idée de mutualiser nos achats pour placer des commandes plus fermes a d’ailleurs semblé intéresser les participants.

« Dans le monde du détail en matériaux, c’est devenu beaucoup trop d’exercices et de jonglerie pour arriver à tirer son épingle du jeu aujourd’hui. Ça décourage la relève… »

De 2005 à 2012, l’industrie forestière au Québec était déficitaire. Depuis 2020, les scieries sont plus que rentables. Plus de prévisibilité de la demande locale pourrait contribuer à réduire le risque que les scieries mangent leurs bas certaines années… ou exagèrent à d’autres années.

xx

xx

Longtemps, les prix du béton, de l’acier et du bois se recoupaient, mais jusqu’à tout récemment, le bois n’avait pas suivi la même courbe ascendante que ses deux concurrents….

Devenons-nous victimes de quasi-monopoles qui dictent les prix et les arrivages?

Chaque année, on assiste à plus de consolidation. Mais dans le bois de sciage, malgré la fermeture de la moitié des scieries au début des années 2000, il y aurait encore beaucoup de joueurs dans le marché.

Une bien moins grande diversité est observée pour le marché des contreplaqués et des panneaux de copeaux orientés, où quelques entreprises auraient acheté beaucoup de concurrents.

Comment amenuiser les effets des crises sur nos approvisionnements?

Il y aura d’autres changements climatiques, crises sociales et épidémies qui vont venir perturber les prix et/ou les dates de livraison des produits finis ou de certains composants.

Le mot de la fin appartient à François Bernier, économiste et vice-président principal, affaires publiques de l’APCHQ :

« Avec cette pandémie, on vient tous d’avoir un « wake up call » sur la nécessité de se doter d’une forme de périscope d’informations stratégiques afin de prévoir la demande par catégories de matériaux et sans doute aussi par régions. Et en parallèle, il faut se pencher sur la fragilité de notre chaîne d’approvisionnement et œuvrer à relocaliser au Québec la production de certains ingrédients jugés névralgiques pour soutenir plusieurs pans de l’industrie de la rénovation et de la construction domiciliaires. »

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *