Si la règle du plus bas soumissionnaire, que ne semble pas vouloir remettre en question le gouvernement du Québec dans l’octroi de contrats immobiliers et routiers inquiète architectes et ingénieurs, on doit aussi la critiquer et la combattre.
L’Association des firmes de génie-conseil du Québec (AFG) et l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ) ont signé récemment une lettre ouverte et ont rappelé une récente étude indépendante. Leurs deux actions démontrent qu’à trop accorder de points au dernier chiffre en bas d’une soumission, toute la société se tire dans le pied.
Il est vrai que les codes de déontologie des ingénieurs et des architectes prévoient que les professionnels doivent s’abstenir de compromettre la qualité de leurs prestations de services et que leur action doit en quelque sorte tenir compte des conséquences de leurs travaux sur l’environnement, l’humain et la propriété.
N’empêche, je partage l’avis que confier la conception de projets aux entreprises les moins chères peut compromettre la qualité des infrastructures et la sécurité des citoyens, tout en ouvrant la porte à la collusion.
« Si le gouvernement pense faire des économies en prenant un professionnel moins cher, il prend le risque de laisser les générations futures en payer le prix », disait récemment la directrice générale de l’AAPPQ, Lyne Parent.
« L’étape de conception est déterminante pour la durabilité et la qualité du projet. Si c’est mal pensé, il va falloir plus d’entretien, et ça coûte cher, dit-elle. On ne veut pas juste faire du beau, on veut que ça soit fonctionnel, durable et que ça s’adapte aux changements climatiques ». Mais des moyens financiers et du temps sont nécessaires pour innover.
« Pourquoi prendre cette méthode dénoncée durant la commission Charbonneau ? C’est un non-sens », s’est déjà offusquée la présidente de l’Ordre des architectes du Québec, Nathalie Dion.
La commission d’enquête a démontré que certaines entreprises – les plus mal intentionnées dans le milieu de la construction – n’hésitent pas à jouer avec les processus d’appel d’offres là où la règle du plus bas soumissionnaire est appliquée.
Selon l’AQMAT, la position du gouvernement ouvre surtout la porte au désistement des professionnels qui veulent œuvrer avec un souci de qualité ou de beauté, selon la nature des travaux à effectuer.
Déjà que nombre de nos membres hésitent à produire ou vendre des matériaux sur des chantiers en raison de leur crainte de n’être payés qu’après six ou neuf mois, l’idée de participer à un projet risqué sur le plan réputationnel ou durabilité constitue une barrière supplémentaire.
Certains avancent qu’il serait sain que le prix soit un critère prioritaire pour les projets standards ne nécessitant aucune technique poussée ou innovante. « Je ne crois pas que le remplacement d’un système de lumière sur une autoroute ou la réparation des nids de poule nécessitent qu’on choisisse la firme la plus expérimentée », soutient l’organisme Transparency International Canada, soulignant que l’entreprise qui offre le plus bas prix n’est pas pour autant incompétente.
Je ne vois pas du tout les choses ainsi : « Je trouve assez ironique qu’on donne en exemple la réparation des nids de poule alors qu’on sait fort bien qu’il existe sur le marché différents matériaux de remplissage et différentes techniques, plus ou moins performantes dans le temps. Par exemple, en creusant moins profondément pour entrer dans un budget serré, on ferme un trou, certes, mais pas pour longtemps!
Je suis d’ailleurs déjà intervenu sur le sujet dans le cadre d’un colloque où j’évoquais la malheureuse culture du « cheap » qui sévit dans les institutions publiques au Québec. On en est encore au même point.
S’inspirer du fédéral
Le cabinet d’économistes MCE Conseils dans une étude commandée par l’AFQ et l’AAPPQ a comparé les résultats de 714 soumissions sur 137 appels d’offres.
Parmi les trois paliers de gouvernement, le fédéral applique une formule qualité-prix aux proportions 90/10. Autrement dit, 90 % des points sont accordés à la qualité (cv corporatif du soumissionnaire, cv du chargé de projet, expériences sur projets semblables, références pertinentes, etc.) versus 10 % au prix.
Le rapport de la firme montre que dans 62 % des cas étudiés pour des projets fédéraux, c’est la firme atteignant la meilleure cote de qualité qui a remporté l’appel d’offre.
En comparaison, les formules employées par le gouvernement du Québec ou les municipalités ont pour effet que ce sont très majoritairement les firmes octroyant le prix le plus bas qui ont eu gain de cause.
C’est pourquoi l’AQMAT partage sans hésiter les cinq conclusions de l’étude menée par le cabinet d’économistes MCE Conseils pour le compte de l’AFQ et de l’AAPPQ :
- Privilégier la sélection basée sur la qualité et les concours d’architecture.
- Si une formule qualité-prix devait être introduite, elle ne devrait pas donner une prépondérance au prix.
- La sélection des professionnels au plus bas prix entraîne des conséquences sur la gestion des projets : plus de dépassements de coûts et d’échéancier, insatisfaction des clients, coût de possession plus élevée, etc.
- Les services professionnels représentent de 1 % à 2 % des coûts sur le cycle de vie d’un ouvrage mais seront déterminants pour la pérennité et la qualité d’un projet.
- La stratégie québécoise de l’architecture annoncée récemment vise l’adoption de pratiques exemplaires dans les projets menés par l’État.